Le regard perdu dans le liquide ambré, insensible aux bruits alentours, comme si le temps s'était arrêté, l'espace d'un instant, un seul instant pour m'offrir ce répit tant attendu. Quelques minutes salvatrices où je ne suis pas obligée de paraître, hantée uniquement par ce que je suis, par ce que j'étais. Je ferme les yeux, essayant de me concentrer, de ne pas perdre le contrôle, trouvant tout cela insoutenable, toute cette mascarade pour pas grand chose. L'effet de l'hyperium, léger anesthésiant, semble se dissiper aussi lentement que mon verre se vide. Mon espace, ma pause en dehors du temps fut de courte durée, de bien trop courte durée pour ne pas continuer à ressentir les effets. Encore un peu, juste un peu... discrètement, juste histoire que ça passe inaperçu... même si au fond, ils peuvent tous aller se faire foutre.

Je me mêle une nouvelle fois au milieu de ces primates, me mouvant au rythme de la musique, me contentant d'apprécier ce moment... Je laisse certains corps se frotter contre moi, puis en repousse d'autres. Je ne suis pas n'importe qui, je ne me laisse pas toucher par n'importe quoi... même dans cet état. Je pourrais presque sourire, presque rire, mais aucun son, aucune expression ne semble vouloir animer mon visage de porceleine. Je me contente d'exister, n'est-ce pas ce qu'on m'a demandé ? N'est-ce pas l'une des raisons de mon sacrifice. Je suis réduite à l'état de relique, incapable de vibrer, de laisser libre court à ma colère, handicapée par des émotions si longtemps refoulées, oubliées.

Je regagne le bar, termine mon verre avant d'en commander un autre. Assez vite rejoins par une ancienne connaissance à la discussion si peu palpitante. Je fais semblant d'écouter, me contentant de hocher la tête de manière peu communicative mais cela ne semble pas la déranger. Qui oserait offusquer la grande Caym après tout ? Personne ne semble assez bête pour cela. Dommage, j'aurais bien frappé dans le tas histoire de libérer tout ce qui n'est pas bon en moi. Je soupire, agacée, avant de répondre sèchement à mon interlocutrice. Non je n'ai pas envie de ce genre de discussion pompeuse, ennuyeuse, j'ai juste besoin de me sentir vivante... est-ce trop demander ? Ah oui, il est vrai que je suis morte depuis bien longtemps... qu'est-ce qui peut rendre vivante une morte si ce n'est plus les massacres, les combats, et cette haine qui semble sciemment se retourner contre moi.

Est-ce à ce moment là que je finis par me rendre compte de sa présence ? Un regard qui m'a hanté, qui me hante toujours et qui ce soir se veut inquisiteur. Je ne me laisse pas déstabilisée, me contentant d'afficher mon agacement, ma froideur habituelle, l'intimant de ne pas se faire des idées. Je ne sais pas ce qu'il est en train de penser, j'aimerais tant violer ses pensées pour en voler quelques brides et m'en servir, contre lui... pour m'assurer mon salut. Il est de ceux que je n'apprécie guère, un combat, le jeu du chat et de la souris, qui n'est qu'un éternel recommencement... qui pliera, qui courbera l'échine ce soir....