Onze jours… c’était le temps qu’il m’avait fallu pour prendre une décision. Après ma dernière discussion avec Ezechiel, j’avais eu de quoi réfléchir quant à ma position au sein de ce conflit dont je ne m’étais pas réellement occupée depuis des années. Au fond de moi, j’avais toujours été quelqu’un de foncièrement bon, tourné vers Dieu même si j’avais longtemps cru être une créature du Diable, j’avais œuvré en aidant les autres, en sauvant des vies. Je ne niais pas qu’il y avait quelques erreurs sur mon parcours, des erreurs que je n’oublierai jamais et qui me servaient aussi à avancer. Cependant depuis un peu plus d’un siècle et demi, j’avais pris une distance non négligeable avec le conflit qui opposait le bien au mal, même si j’avais toujours eu ma conscience pour moi. Et tandis que je repensais à ma dernière discussion avec Ezechiel, une autre m’était revenue, celle que j’avais eue avec une jeune femme que j’avais aidée, Elena Hamilton.

J’étais venue en aide à Elena alors qu’elle était aux prises avec un démon. Si je m’étais éloignée du conflit entre le bien et le mal, je ne l’ignorais pas lorsqu’il était sous mes yeux, et bien sûr j’avais aidé la jeune femme. Elena était une « simple » humaine, entendez par-là qu’elle n’était pas sorcière, une résistante en réalité. Dès notre première rencontre, elle avait tenté de me rallier à sa cause, mais pour moi le combat était terminé depuis longtemps, je ne l’avais pas avoué devant elle, mais j’étais fatiguée de me battre depuis si longtemps pour les autres alors que l’unique souhait qui me restait pour moi ne pourrait jamais être assouvi. J’avais décliné son invitation, en argumentant que cette guerre n’était pas la mienne… mais j’avais tort, cette guerre serait toujours la mienne, il me manquait seulement la volonté de continuer. Une volonté qu’Ezechiel m’avait rendue, et qui expliquait la raison de ma présence.

Après quelques jours de réflexion, j’avais décidé de retourner voir Elena. Je n’avais cependant pas la moindre idée de l’endroit où la trouver, mais heureusement pour moi, lors de notre dernière rencontre, elle avait perdu un bracelet que j’avais ramassé et conservé dans le but de lui rendre si je la croisais de nouveau. Finalement, combiné à mon cristal, il me permettrait de la trouver pour lui rendre certes, mais pour lui faire part de ma décision également. Et c’est ainsi que je me retrouvais au Children’s House.

À peine entrée dans la bâtisse, j’étais interpellée par une jeune femme brune qui m’offrait un sourire avant de me demander si elle pouvait m’être utile. Je lui rendais faiblement son sourire avant de lui répondre.

▬ Je cherche Elena Hamilton. Lui dis-je, et aussitôt elle m’invitait à la suivre jusqu’à un bureau. Elle y entrait après avoir tapé, et annonçait à son interlocutrice que quelqu’un la demandait, et durant ce petit laps de temps, je rassemblais mes pensées quant à ce que j’allais bien pouvoir lui dire.

Lorsque je pénétrais dans le bâtiment, je me demandais encore si j’avais raison de faire ce que je m’apprêtais à faire. Je doutais encore, c’était un sentiment qui ne me quittait plus depuis que j’avais songé à reprendre une lutte que je croyais perdue d’avance. Malgré le doute, j’étais là, je rentrais dans la bâtisse et je demandais à voir celle qui avait essayé à chacune de nos rencontres de me convertir à sa cause.

Accompagnée d’une femme dont j’ignorais le nom parce que je ne lui avais pas demandé, nous nous dirigions vers le bureau d’Elena Hamilton. J’entendais sa voix remercier Beth, à qui j’offrais un très faible sourire pour la remercier également. Beth repartait sans plus attendre à son poste et je me retrouvais face à une Elana surprise de me voir ici. Il y avait de quoi, d’un parce que je n’étais pas censée savoir que la trouverais ici, et deux parce que j’avais toujours tenu le même discours avec elle, le combat pour le destin de l’humanité n’était pas le mien. La surprise passée, elle se levait et fermait la porte pour nous offrir davantage d’intimité, nous en aurions grand besoin.

Lorsqu’elle m’interrogeait sur la façon dont je l’avais trouvée, je tendais la main vers elle avant de l’ouvrir pour qu’elle y découvre le bracelet qu’elle avait perdu lors de notre dernière rencontre.

▬ Je l’ai trouvé après votre départ la dernière fois que nous nous sommes vues. Je comptais vous le rendre, je me suis dit que vous y teniez sûrement et… finalement il m’a servi à vous trouver ici. Expliquais-je, tandis que je la laissais le reprendre. Je suis navrée. Ajoutais-je pour m’excuser d’avoir usé de magie et de m’être introduite ainsi dans sa vie privée.

Il fallait maintenant que j’évoque la raison de ma venue, mais je doutais toujours autant. Qu’arrivait-il donc à la sorcière forte que j’étais devenue durant ces derniers siècles ? Depuis ma rencontre avec Ezechiel, je traversais une période de troubles dont il me fallait sortir au plus vite. Cependant, ce n’était pas le problème d’Elena, et je n’étais pas venue lui quémander un quelconque conseil.

▬ Je… Balbutiais-je une seconde. Vous aviez raison… vous avez raison. C’est aussi mon combat. Dis-je pour m’expliquer. Je n’avais seulement plus aucune raison de me battre encore.

Je rendais ainsi son bracelet à Elena, cela avait toujours été mon intention depuis le moment où je l’avais ramassé. J’avais cependant remis cela à plus tard, non pas que j’étais trop débordée pour le lui rendre, mais j’avouais vouloir éviter de lui laisser une autre occasion de me convaincre de rejoindre la résistance. Avec toute la bonne volonté dont elle faisait preuve, je m’en voulais presque de lui répondre non. Enfin, il en allait aussi de ma survie… Quoi qu’il en soit, j’étais là, et je lui rendais ce qui lui appartenait, en m’excusant de la méthode employée pour la retrouver. Une méthode qu’elle jugeait surprenante et déstabilisante… j’avoue, d’où mes excuses.

J’expliquais alors la raison de ma présence, outre le fait que je me devais de lui rendre ce qui lui appartenait. Je n’étais pas très explicite à dire vrai, peut-être parce que je n’étais totalement sûre de ma décision. Malgré tout, je lui donnais raison, l’apocalypse qui nous menaçait était aussi mon combat. J’avais cessé d’y participer, à mon échelle, parce que je n’avais plus aucun but à atteindre. Il ne me restait qu’une seule chose, attendre la fin quelle qu’elle soit. J’en avais eu assez de combattre pour les autres alors que je n’obtiendrai jamais rien d’autre que la damnation éternelle pour une seule erreur, et je crois que j’en avais toujours assez de le faire. Était-ce parce que je voulais me prouver le contraire ou parce que je voulais vraiment croire à l’espoir qu’Ezechiel me donnait, que j’étais là ? En fait, je n’avais pris aucune décision, je voulais pourtant en prendre une… je crois…

Elena me sortait de cette pensée de plus en plus obscure pour me ramener à l’instant présent. La résistante me demandait confirmation de ce qu’elle pensait avoir compris, avais-je donc changé d’avis ?

▬ Plus j’y pense, et moins je suis sûre de la raison pour laquelle je suis là. Avouais-je la jeune femme, avec cette impression de lui faire perdre son temps qui, contrairement au mien n’était pas infini. Le doute ne me quittait vraiment plus… Je ne suis pas vraiment sûre d’avoir changé d’avis, mais peut-être que vous le ferez, parce qu’il y a…beaucoup de choses que vous devez savoir à mon sujet avant… avant tout ça. Dis-je pour la prévenir que je n’étais pas tout à fait celle qu’elle pensait… en fait, j’en étais même très loin.

Je poussais un profond soupir suite à sa dernière question. Ce n’était pas du tout de l’exaspération ou un quelconque sentiment du genre. Je crois que j’essayais surtout d’évacuer le doute qui m’habitait encore, et qui avait pris une ampleur démesurée lorsque j’étais entrée dans le bâtiment. Prendre une décision, c’était une chose, mais aller jusqu’au bout, c’en était une autre.

▬ Quelqu’un… m’a rendu un espoir… je ne suis même pas sûre d’y croire, mais… Je laissais ma phrase en suspens, tandis que je repensais à la promesse qu’Ezechiel m’avait demandé de lui faire… Préserver mon âme pour qu’il puisse tenter de la sauver, de la libérer de l’enfer, et par conséquent préserver ma vie pour lui laisser ce temps… J’étais peut-être en train de faire tout le contraire de ce que je lui avais promis…

Malgré tout ce temps durant lequel j’avais pu réfléchir à propos de mon implication dans cette course contre la montre, tout ce temps avant de venir trouver Elena Hamilton, je n’étais pas réellement décidée. Cela ne me ressemblait pas d’hésiter ainsi, de laisser un doute m’envahir et m’empêcher de prendre une décision qui paraissait pourtant évidente.

Alors que j’exprimais mes doutes, que j’avouais ne pas être certaine de la raison pour laquelle je me trouvais devant elle à cet instant, Elena tenta de me rassurer : aucun d’eux ne l’était. Aucun d’eux n’avait mon âge, et par conséquent un passé comme le mien et mon expérience. J’appréciais néanmoins l’effort de la jeune femme, même si face à son discours j’émettais quelques réserves. Malgré l’ouverture d’esprit, je n’étais pas certaine qu’ils soient vraiment prêts à accepter mes erreurs… pour la plupart, je ne les acceptais pas moi-même. Et je refusais qu’Elena puisse m’accepter parmi eux sans connaître l’étendue de mes propres crimes. Il fallait que j’avoue, en commençant par le début… le tout début. Mais avant cela, je la laissais continuer son discours.

Je me devais de l’admettre, lorsqu’il était question de recruter quelqu’un pour la résistance, Elena Hamilton avait de la suite dans les idées. La jeune femme avait du charisme, c’était indéniable, et tandis qu’elle tentait de me rassurer ou de me convaincre, je voyais qu’elle-même était convaincue par ce qu’elle disait. Leur espoir était bien différent du mien, ceci dit, quant à la peur, il ne m’en restait qu’une seule aujourd’hui. J’écoutais attentivement ses paroles, y cherchant je ne savais quoi. J’aurai presque pu sourire face au compliment qu’elle me faisait sur ma puissance. Néanmoins, j’avais peine à croire qu’ils puissent m’aider d’une quelconque façon, alors même qu’Ezechiel ne savait pas s’il avait le pouvoir de le faire.

▬ M’aider, il y a peu de chances que vous puissiez. Ceci dit, je ne venais pas dans le but de vous réclamer de l’aide, je venais plutôt pour vous offrir la mienne. Dis-je dans un premier temps. Mais ce n’est pas ce qui importe pour le moment.

Je prenais alors une profonde inspiration, avant de me lancer dans un discours à mon tour. Il me fallait avouer toute l’étendue de mes fautes, afin qu’Elena puisse prendre sa décision en toutes connaissances.

▬ Ce que je vais vous dire maintenant, je ne vous le dis pas parce que j’ai besoin de le confier, je vous le dis pour que vous sachiez à qui vous parlez réellement. Dis-je dans un premier temps pour la prévenir que je ne cherchais nul réconfort pour supporter mes fautes. Je ne savais pas ce que j’allais dire dans le moindre détail, mais je savais ce que j’allais aborder, et peut-être que pour le contenu en lui-même mes mots exprimeraient-ils simplement le fil de mes pensées.

▬ Je suis née le 7 septembre 1667, et ce jour-là je portais le prénom de Cassandre. Je l’ai porté durant près de trois siècles avant d’en changer. La raison pour laquelle j’ai toujours l’air d’avoir 27 ans, c’est parce que c’est l’âge que j’avais lorsque j’ai pactisé avec un démon. Même si je considère ce pacte comme la pire erreur de toute ma vie, si on me donnait l’occasion de revenir en arrière pour refaire ce choix, je ne le changerai pas, même en sachant à l’avance par quoi je suis passée depuis que j’ai damné mon âme. Le choix que j’ai fait ce jour-là n’avait rien à voir avec le fait que je voulais vivre éternellement, ou même avec le fait que je souhaitais servir l’autre camp. Malgré mon pacte, j’ai presque toujours agi en fonction de ce que ma conscience me dictait. Presque toujours, parce qu’il m’était arrivée de ne pas défier Mordred, pour ma propre survie. Il y a tout de même des vies que je n’ai pas sauvées. Il y en a peut-être d’autres que je ne sauverai pas non plus. Ce n’est pas que je n’ai pas voulu le faire, mais il me fallait choisir entre ces vies et la mienne. Je ne m’en sers pas d’excuse, parce que… il n’existe aucune excuse pour ce que j’ai fait ou pour ce que je n’ai pas fait plutôt. Et rien de ce que je ferai à l’avenir ne pourra d’ailleurs excuser ce que j’ai fait dans le passé pour survivre.

Je lâchais un autre soupir avant quelques mots de plus.

▬ Que je le veuille ou non, ma vie dépend du bon vouloir d’un seul démon. J’essaie de ne pas lui donner envie de me faire vivre la damnation éternelle, même si c’est la punition qui m’attend…

Il me semblait important de préciser à Elena que je venais pas pour recevoir de l’aide mais pour en offrir. Je n’attendais plus de main tendue parce qu’il n’y avait plus rien qu’on puisse me donner désormais qu’il vaille la peine. Tout ce qui pouvait avoir encore un peu d’importance pour moi, c’était de retrouver ma fille, et il n’y avait qu’une chance très infime, si infime qu’elle était plutôt inexistante, pour que cela arrive un jour. Pourtant j’acceptais de croire même un tout petit peu à la promesse qu’Ezechiel m’avait faite, et tandis que j’avouais à Elena qu’elle ne pouvait pas m’aider, il lui semblait à son tour important de me signifier qu’il n’était pas question que notre collaboration n’aille que dans un sens. À dire vrai, il y avait peut-être une chose qu’elle pouvait faire pour m’aider, ou pour m’éviter mourir prématurément… à condition que dans mon cas on puisse parler de mort prématurée.

▬ Rien n’est négligeable par les temps qui courent… Dis-je simplement dans un premier temps.

Je voulais néanmoins qu’elle sache à qui elle avait à faire, à qui elle demandait de les rejoindre. Même si je n’avais jamais été du côté de Lucifer, je n’étais pas toute blanche ; des êtres humains étaient morts par ma faute, parce que j’avais voulu survivre, parce que je n’étais pas assez forte ou parce que je n’avais plus eu la force de me battre pour qui que ce soit… Il n’était pas question que je prétende être une autre, que je lui donne une raison de douter de la confiance qu’elle aurait pu m’accorder. Il était important qu’elle le sache, et qu’elle prenne sa décision sans rien ignorer de mes erreurs les plus sombres. Malgré l’aveu de mes fautes, la réponse d’Elena me semblait d’une gentillesse démesurée. Je n’avais pas avoué mes fautes pour que l’on me réconforte mais j’avais la sensation que c’est ce que la jeune femme voulait faire. Il n’y avait qu’un point sur lequel je n’étais pas d’accord, mon passé était important, tout aussi important que ce que je voulais faire de mon avenir…

▬ Je ne suis pas certaine que je puisse être davantage protégée de ce démon, et ce n’est pas ce que je cherche comme je vous l’ai dit. Lui dis-je, parce que j’estimais aussi que j’étais la seule à devoir assumer les conséquences de mes erreurs, et qu’il n’était pas question que quelqu’un puisse prendre le moindre risque à ce sujet…Mordred était mon problème, et personne n’aurait à gérer cela avec moi ou pour moi.

▬ Je n’ai jamais trahi la confiance qu’on a acceptée de m’accorder, et je ne le ferai pas maintenant, jamais. Je ne suis seulement pas certaine d’être capable de me battre à nouveau, malgré ma volonté. Je suis venue parce que je veux essayer, mais… je ne suis plus certaine d’y arriver…

Pourquoi avais-je tant de mal à prendre une décision qui semblait pourtant si simple ? Il n’y avait bien qu’une seule question à se poser présentement. Souhaitais-je oui ou non reprendre la lutte que j’avais abandonnée il y a de cela des dizaines d’années pour ne pas dire plus d’une centaine ? Une seule question qui semblait pourtant si simple, mais pour laquelle j’avais finalement un mal fou à me décider. Enfin je ne m’étais tout de même pas rendu jusqu’ici pour rien ! Je devais bien l’avoir prise cette foutue décision, alors pourquoi étais-je encore en train d’hésiter ? En mon for intérieur, je soupirais, exaspérée par ma propre indécision malgré les arguments d’Elena, malgré ma promesse à Ezechiel, malgré l’espoir, si infime que je n’y croyais peut-être pas, de retrouver un jour Sélène.

J’écoutais les réponses d’Elena Hamilton, et je voyais la détermination dans son regard, je l’entendais dans son intonation. Je devais lui reconnaître d’être particulièrement tenace, mais pouvais-je réellement m’attendre à moins de la part de la chef de la Résistance humaine ? Malgré mes refus, elle n’abandonnait toujours pas l’espoir d’obtenir une réponse positive à la longue… J’avais été déterminée comme elle à une époque qui me semblait si lointaine…

▬ Je dois avouer que non, je n’en ai pas conscience. J’ai cessé de me battre bien avant que vous ne commenciez vous-même à le faire. Bien avant qu’elle ne vienne au monde même. Je n’avais pas trouvé la force de continuer après avoir compris que jamais je ne tiendrai la promesse faite à ma fille mourante. Et il n’y avait bien que ma conscience pour me pousser à sauver des vies innocentes lorsque je les croisais en danger de mort. Je ne doute pas de vos capacités ou de votre détermination. Vous m’avez déjà prouvé que vous n’abandonnez pas à la première difficulté, puisque malgré tous mes refus vous vous montrez toujours aussi déterminée à me faire changer d’avis. J’en viens à me demander ce que vous pouvez voir en moi pour être si… convaincue de ne pas vous arrêter à je-ne-sais combien de déclinaisons de vos invitations. Il est vrai que je n’avais pas compté le nombre de fois où Elena avait tenté de me convaincre de les rejoindre dans leur lutte.

Elle reprenait alors la parole, argumentant sur la force qui pouvait sommeiller en chacun de nous sans que nous en ayons conscience. Pour ma part, j’avais surtout conscience du désespoir et de la solitude. C’était peut-être pour cette raison que j’avais encore autant de mal à arrêter une décision. Si je n’y croyais pas, comment pouvais-je donc les aider qu’une quelconque façon ?

▬ Je ne doute pas vraiment de la force qui peut sommeiller en moi, j’ai eu l’occasion de me surprendre à plusieurs reprises au cours de ma longue vie. Mais je m’étais laissée happer par un infini désespoir dont je ne parvenais pas à me défaire. Et si je n’y croyais pas, il ne m’était pas possible de les aider. Mon regard vagabondait alors vers l’extérieur de ce bureau par l’intermédiaire d’une fenêtre, tandis que je me laissais quelques instants de réflexion avant de pousser plus en avant ma réponse.

Et mon regard vagabonda jusqu’à trouver cette adolescente. Mon cœur venait de rater un battement m’infligeant par la même occasion une douleur morale des plus atroces, alors que je détaillais les traits de cette jeune fille. Sélène… Je voyais ma propre fille dans le visage de cette adolescente, malgré que Sélène n’ait jamais atteint l’âge de l’enfant que je regardais, c’était elle que je voyais… Mes yeux ne pouvaient plus se détacher d’elle, et le flot de mes pensées commençait à se perdre en interrogations diverses. C’est tout ce que tu as trouvé pour me convaincre… Murmurais-je à l’attention de Celui que je tenais pour responsable de cette apparition qui n’était peut-être qu’une hallucination de mon esprit torturé. Après m’avoir envoyé un ange qui me promettait de tout faire pour me rendre à ma fille, Il trouvait encore le moyen de me torturer ?

▬ Je veux essayer. Dis-je finalement à l’attention d’Elena sans que mon regard n’ait quitté cette adolescente dont je n’étais même pas certaine de la véritable existence. Je tournais alors de nouveau la tête vers Elena, afin de voir sa réaction.

Confrontée à ce visage que j’identifiais comme celui de ma défunte fille, malgré qu’elle n’ait jamais atteint l’âge de l’adolescente que j’observais, je m’interrogeais quelques secondes seulement sur cette apparition. Étais-je en train d’halluciner ? Depuis ma conversation avec Ezechiel, ma douleur s’était-elle à ce point réveillée que j’en venais à imaginer ma fille disparue dans le visage de cette gamine ? Bien sûr, cette souffrance ne s’était jamais tue, mais après plusieurs siècles, j’avais réussi à m’habituer à elle au point que je pouvais agir comme si elle n’existait pas. Mais elle ne cesserait jamais d’exister… Cette apparition était-elle une façon de me convaincre ? À quoi jouait-Il là-haut ?

Après un ultime effort, je détachais mes yeux de l’adolescente dont j’ignorais tout, jusqu’à douter même de sa véritable existence. J’avais finalement répondu par l’affirmative à Elena Hamilton, et au moment où je tournais la tête vers elle, je voyais l’esquisse d’un sourire qu’elle s’empressa de cacher. Elle affirmait être certaine que je prenais la bonne décision alors que je continuais sérieusement d’en douter. J’avais promis à Ezechiel de faire attention à moi pour qu’il puisse tenir la promesse qu’il m’avait faite, mais le simple fait d’avoir accepté la proposition d’Elena me mettait en plus grand danger que je ne l’étais déjà. Mais ma décision était prise…

Elena se lançait déjà dans quelques questions pour en savoir davantage sur moi, et sur la façon dont je pourrais leur venir en aide.

▬ J’ai hérité du don de télékinésie lorsque j’étais enfant, j’en ai un parfait contrôle aujourd’hui. J’ai récemment acquis le don d’aquakinésie, ce n’est pas encore ce que ça pourrait être de mieux, mais ça viendra. Sinon j’exorcise assez bien les possédés, je tue des démons à l’occasion mais ça vous le saviez déjà. Et j’ai quelques talents pour les arts curatifs aussi. Dis-je pour le côté magique en tout cas, avant de reprendre avec une légère grimace trahissant un peu de doute sur la suite de mes propos. Disons pour résumé que j’ai bien profité de mes trois siècles et demi de vie pour diversifier mes talents de sorcière, alors… je dirai que vous pouvez me demander à peu près tout, je dois pouvoir le faire. J’émettais quand même une légère réserve, parce que je n’étais ni Dieu, ni un ange, j’avais aussi mes limites. Si j’étais une sorcière expérimentée, j’avais très certainement des lacunes que je les connaisse ou non.

▬ Pour ce qui est du côté non magique, j’ai appris à me battre de différentes façons, et je connais le maniement de quelques armes.

Je marquais une légère pause en repensant à une phrase qu’elle avait dite un peu plus tôt et à laquelle je n’avais pas réagie de suite. Mais elle résonnait encore dans mon esprit.

▬ Vous avez raison… Lui dis-je. De ne jamais abandonner… Précisais-je. J’avais abandonné il y a longtemps, mais j’avais toujours su que c’était une erreur. Seulement… je n’avais plus trouvé la force de me battre, je n’avais plus trouvé une raison de lutter, j’avais perdu tout espoir…

Maintenant que j’avais finalement accepté l’invitation d’Elena à rejoindre la résistance – après un nombre de refus que j’avais arrêté de compter et une grande hésitation pour le final – il était désormais l’heure de la revue de compétences. Avec mes très nombreuses années au compteur, j’avais eu le temps de développer mes connaissances les plus basiques et de me diversifier autant dans l’art de la magie que dans des compétences plus « humaines ». Et tandis que je répondais aux interrogations d’Elena, j’étais sûre que j’oublierai certaines de mes compétences au passage. Mais j’aurai toujours le loisir de me rattraper plus tard et de les lui faire découvrir quand ce serait nécessaire.

Quand je terminais mon petit laïus, Elenea laissa un léger silence avant de me répondre de manière assez enjouée. Apparemment je lui annonçais de bonnes nouvelles, et elle trouvait même l’occasion de faire une plaisanterie. Je m’avouais volontiers que je n’avais pas douté pouvoir leur apporter quelque chose, je doutais simplement de moi-même et de ma capacité à pouvoir reprendre un combat dont je m’étais désintéressée depuis trop longtemps. Je souriais cependant face à sa remarque dite sur le ton de la plaisanterie.

▬ Un peu trop de modestie, peut-être. Lui répondis-je, car c’est vrai que j’en avais longtemps fait preuve. Je ne sous-estimais pas mes capacités et mes connaissances, mais j’étais loin d’être du genre à les étaler pour impressionner la galerie, c’était même le contraire. Bien des fois j’avais fait croire à Mordred que j’étais plus faible qu’en réalité.

Avant qu’Elena ne reprenne la parole, quelques mots m’échappèrent, rapport à une phrase qu’elle avait dite plus tôt. J’aurai voulu avoir la force de ne pas abandonner, mais la seule chose à laquelle je pouvais me raccrocher, c’était ma vie ; et depuis longtemps, ce n’était plus un argument suffisant pour se battre. Ma propre vie ne m’intéressait plus. Une famille, des amis… voilà la raison qui permettait à Elena de se battre encore. La famille, je n’en avais plus, mais des amis… Castiel, pour citer le plus important ; Methiziah, Clarke… peut-être que c’était suffisant pour se battre.

▬ Sûrement pas autant, non. Mais peut-être un peu plus que maintenant. Lui répondis-je avec un sourire empreint d’une certaine tristesse en repensant à la famille que je n’avais plus. Mais je me reprenais rapidement.

▬ Quelle est la suite des évènements maintenant que j’ai dit oui ? Demandais-je pour changer de sujet.

Tandis que notre conversation s’approchait de la fin, je prenais à peine conscience que j’avais finalement sauté le pas. Après des dizaines et des dizaines d’années à me détourner d’un combat que je jugeais ne plus être le mien, je lui faisais de nouveau face. Le doute m’assaillait encore, mais j’avais tout de même pris ma décision. Tout ce qui me restait à faire, c’était d’y croire.

Préférant laisser l’espoir à Elena, je dérivais du sujet de ses motivations pour m’enquérir de la suite des événements maintenant que j’avais accepté son invitation à rejoindre la Résistance. Et j’entendais cette petite voix dans ma tête me dire que je ne tenais pas vraiment la promesse faite à Ezechiel de faire ce qu’il fallait pour vivre aussi longtemps que possible, afin que lui-même puisse tenir la promesse qu’il m’avait faite. Elena me répondit, m’expliquant rapidement ce qui allait suivre, avant d’avouer qu’il lui fallait partir pour aller s’occuper de quelques affaires urgentes. J’en avais également quelques-unes en cours dont je devais m’occuper rapidement.

Avant de se décider à partir, Elena m’assura qu’elle me tiendrait très vite au courant et me demanda un numéro auquel elle pourrait me joindre.

▬ Bien sûr. Je vous le note. Lui dis-je avant de me saisir d’un bloc-notes qu’elle me montrait, et d’y inscrire mon numéro de téléphone. Il se peut que je ne réponde pas pour… différentes raisons. Si c’est le cas, laissez-moi un message, que je sache que c’était vous et qu’il faut que je rappelle. Expliquais-je, en taisant volontairement les différentes raisons. La principale était sûrement « deux démons squattent souvent mon appartement quand ça leur prend, et il est préférable pour ma survie qu’ils ignorent tout de notre relation ».