Après une longue journée de travail, je rentrais tardivement chez moi en empruntant le même chemin qu’à mon habitude, traversant ainsi le dédale que formaient la succession et les croisements des nombreuses rues de Los Angeles. Je me rapprochais doucement de mon immeuble en pensant d’ores et déjà à la douche chaude qui m’attendait, en espérant que Mordred ne s’invite pas une fois de plus dans le tableau. Son retour marquait la fin d’une longue tranquillité déjà regrettée.

Ma tranquillité semblait déjà compromise tandis que je ressentais une présence dans mon sillage. Simple humain ou démon ? Je n’en avais pas la moindre idée, mais je plongeais déjà une main dans ma besace pour mettre la main sur mon pugnalis caelestis, et en serrer fermement la garde. Je prenais la prochaine rue sur ma droite, et l’ombre derrière moi suivait le même trajet. Je choisissais de ne pas m’arrêter, ni même de me retourner tant que cela ne s’avérait pas nécessaire. Mais après quelques dizaines de pas supplémentaires, j’étais obligée de stopper ma course, quand une autre personne – un démon supposais-je à raison – me barrait la route. Je lâchais un soupir au moment où derrière moi, l’autre démon s’arrêtait, me barrant la voie de retour.

▬ Merde… Lâchais-je dans un murmure.
▬ Tu aurais dû changer de trajet. Me lâcha celui face à moi.
▬ Oh ça oui, j’aurai dû… Sifflais-je entre mes dents, plus pour moi-même que pour eux.
▬ T’as dérangé le mauvais démon, chérie. Me lança le deuxième, alors que je serrais plus fermement encore la garde de mon arme.
▬ Tu m’en diras tant… Dis-je en parlant toujours plus pour moi que pour eux.

Je m’apprêtais à projeter le démon face à moi, en gardant à l’œil l’ombre de celui qui se trouvait derrière, mais je fus devancer par l’un d’eux, qui usa de ce pouvoir que l’on avait en commun. J’étais violemment projetée contre un des murs de la ruelle, et ma tête tapait tout aussi violemment contre le béton armé, me sonnant partiellement et troublant ma vue au passage. J’essayais de reprendre rapidement mes esprits, et mon regard se posa sur les petits éclairs tournoyant autour de la main d’un des deux démons…

▬ Oh merde… Lâchais-je, voyant déjà la suite qui se profilait ; en résumé, il y avait de grandes chances que je finisse électrocutée… Je ne parvenais déjà pas à éclaircir durablement ma vision suite au choc violent, alors me défendre… Mon salut n’avait finalement qu’un nom…

▬ Ezechiel…

La violence avait presque toujours fait partit de mon existence, mais n'étais-ce pas normal pour un soldat ? Un guerrier de l'armée céleste ne pouvait prétendre à la paix, s'il n'était préparé à la guerre. Et en guerre nous l'étions ! Tout comme ce déchu face à moi était mon ennemi depuis sa chute. Il semblait pourtant refuser de combattre, soit parce qu'il se savait déjà vaincu, soit parce qu'il était sincère en disant refuser de se battre avec l'un d'entre nous.

Mais quelle que soit sa raison, ma mission, mes ordres n'étaient pas différents ! Sa mort, sa sanction. C'était pour cela que je l'avais pourchassé et pour cela que ma main s'apprêtait à lui donner le jugement final. Pourtant, j’arrêtai mon geste un instant, non pas par doute, mais parce qu'un sentiment s'était emparé de moi. Un de mes protégés était en danger, Louann. Je sentait le risque, notre lien était à présent complet depuis le trépas de ma sœur. Et je pouvait percevoir sa détresse. C'était cet instant qu'avait saisi le déchu pour se défaire de ma prise et courir, tenter une dernière échappée.

Intransigeant, ma mission s'étant de plus rendue plus pressée, je me téléportait devant lui et terminais le travail aussi vite qu'il me l'étais possible, entendant finalement le véritable appel. Ezechiel. Mon nom. Voila qu'elle me priait à l'aide...

Je disparaissait, laissant le corps du traitre la ou il était tombé et apparaissait enfin devant ma protégée, acculée dans une ruelle par deux abominations.

Elle était au sol, blessée et j'avais a peine eu le temps de voir les éclairs la toucher. J'ignorais si son corps pouvait supporter une telle décharge, mais je ne pouvais perdre trop de temps dans le cas contraire. Je me téléportait alors, déployant mes ailes pour me positionner entre Louann et le démon qui usait de son don pour l'électrocuter, accusant la prochaine salve qu'il lui avait destiné.

▬ Reculez ! Ou vous mourrez ! Tonnais-je en laissant toute la puissance de ma grâce se révéler. Je ne refusait pas le combat, mais mon inquiétude était portée sur la sorcière derrière moi qui avait été malmenée et dont l'état de santé m'était inconnu. S'ils fuyaient, je les laisseraient faire. Ma mission première était de protéger les humains, de la protéger elle. C'était un fait des plus certains.

L'un des deux démons semblait réfléchir à la chose. Moins puissant, il était des plus fragile face à moi. Pourtant, celui qui avait électrocuté Louann ne semblait pas vouloir bouger et me toisait.

▬ Tu vas devoir choisir l'angelot ! Entre nous tuer et la sauver !

A cet instant, le second démon s'était fait la malle, laissant son compère seul face à moi.

▬ Il me semble que le choix s'est réduit. Il n'appartient qu'a toi, monstre de savoir ce que tu désir. Mourir de mes mains, maintenant ou bénéficier d'un sursis. S'il fuyait, je n'oublierais pas son aura pour autant et il mourrait, tôt ou tard. En s'en prenant à l'un de mes protégés, il avait scellé son destin.

▬ Elle est blessée, si tu me combat, elle mourra et franchement... rien que ça, ça vaut le coup !

Sa réplique me répugnait, je savait les démons mauvais et abjectes, mais sa décision était tout bonnement destructrice et infernale pour moi. Je ne pouvais soigner directement Louann, sans craindre qu'il profite de mon inattention pour prendre le dessus et la blesser d'avantage ou pire... Tout comme le combattre et risquer d'attendre m'était insupportable. Mais le choix ne m'appartenais pas et il l'avait pris fonçant sur moi pour lancer les hostilités.

Le choc violent que j’avais reçu à la tête provoquait une résonnance stridente dans mon crâne, en plus de troubler ma vision, et je ne parvenais à remédier ni à l’un ni à l’autre. Malgré une vision approximative, je voyais néanmoins ce qui m’attendait dans un futur excessivement trop proche. Bien plus que la douleur que j’allais ressentir face à cette électrocution, c’était la perspective d’en mourir qui revêtait un véritable problème. Pour la première fois depuis des dizaines et des dizaines d’années, je risquais de mourir… Dans un souffle, je parvenais seulement à articuler le nom de mon salut, le nom de mon ange gardien.

La seconde suivante, ce que j’avais imaginé arrivait et j’accusais le choc d’un éclair. Le choc électrique parcourait tout mon corps, et je serrais les dents pour étouffer mon râle de douleur, comme j’avais pris l’habitude de le faire face aux tortures de Mordred. L’électrisation me provoqua une vive douleur dans l’ensemble du corps, ainsi que des spasmes et des contractures musculaires dans les membres. Je sentais surtout l’accélération des battements de mon cœur qui tambourinait contre ma cage thoracique, à une telle vitesse que j’en souffrais. La douleur dans la tête s’était également amplifiée, ma respiration était difficile. J’avais survécu, difficilement mais à cet instant précis, j’étais certaine qu’une seconde décharge me tuerait, et j’en étais presque à regretter les brûlures de Mordred.

La vision trouble, j’utilisais ce qu’il me restait de forces pour l’éclaircir quand bien même je n’avais pas besoin de le faire pour voir que la prochaine décharge arrivait déjà alors que le démon la préparait dans sa main. À la vitesse à laquelle battait mon cœur, il ne supporterait pas un autre choc et j’allais mourir.

▬ J’aurai pas cru que tu résisterais… Me lança-t-il, avant que je ne voie l’éclair déferler sur moi.

Je m’attendais à mourir à la seconde même où l’éclair me toucherait, mais il ne m’atteint pas, et tout ce que je vis, c’est une paire d’ailes se matérialiser devant moi, avant de lâcher un soupir de soulagement. Ezechiel.

Difficilement, la respiration haletante et le cœur bien trop emballé, j’essayais de rassembler mes forces. La blessure à la tête, en plus de la douleur dans tout le corps, me rendait particulièrement faible et incapable de quoi que ce soit. Tout ce que j’avais à faire maintenant qu’Ezechiel était là, c’était tenir jusqu’à qu’il en ait fini avec mes bourreaux, dont l’un venait de se faire la malle. Rassembler mes forces, et tenir juste un peu plus longtemps. Mais le démon capable de contrôler la foudre ne semblait pas vouloir renoncer à sa mission, malgré l’arrivée d’Ezechiel. J’avais manifestement vraiment dérangé le mauvais démon, en sauvant probablement la mauvaise personne de leur point de vue. Et le démon choisit alors de se lancer dans un combat face à Ezechiel, quitte à en mourir si cela signifiait que moi aussi j’y passais.

Je ne parvenais plus vraiment à suivre ce qu’il se passait entre eux, j’étais bien trop affaiblie ; je priais juste pour qu’un autre éclair ne vienne me trouver, et arrêter mon cœur. M’accrocher à la vie ne m’avait jamais paru aussi difficile, pourtant j’avais l’impression d’avoir connu pire au cours de ma vie… vraiment pire… « Maman… » Cette voix, ce murmure… « Maman… tu ne peux pas mourir maintenant. » Sélène… Comme à chaque fois que je risquais de mourir, je l’entendais et je la voyais, comme si c’était elle qui veillait sur moi désormais. « Il faut que tu tiennes, il n’a pas encore sauvé ton âme. » Il… Ezechiel ? Savait-elle vraiment ce qu’il se passait pour moi ? Était-elle seulement vraiment là ou étais-je simplement en train de divaguer ? « Tu m’as promis, tu ne peux pas abandonner maintenant. » Je sais…

Et alors que je contemplais le visage de ma fille en me demandant si ce n’était pas une simple hallucination, j’entendais les quelques échanges qu’Ezechiel et le démon pouvaient avoir durant leur bataille.

▬ Rien qu’une autre petite décharge, et je suis sûr qu’elle clamse ta jolie brune. Lança le démon à l’adresse d’Ezechiel. Une dizaine ou une vingtaine de secondes passèrent avant que je ne l’entende reprendre la parole et que mon regard toujours aussi flou ne vienne se poser sur lui. ▬ Oups, t’es plus entre elle et moi ! Lâcha-t-il sur un ton visiblement ravi.

▬ Non… C’est le seul mot qui avait pu sortir de ma bouche dans un souffle à moitié étouffé, juste avant que je ne ressente à nouveau ce courant électrique me traversait puis… « Maman !! »

Tout avait commencé par être noir, une seconde ou peut-être deux, avant qu’une lumière qui n’avait rien de rassurante ne m’atteigne et ne me fasse voir ce qui m’attendait depuis le jour où j’avais vendu mon âme…

Les menaces du démon étaient insensés, mais il n'était pas de ceux que je pouvait comprendre. Son comportement imprévisible, son désir de vengeance qu'il était prêt à payer de sa vie... C'était pour moi d'une stupidité incroyable. Il n'avait aucune chance face à moi et il devait l'avoir sentit à l'instant même ou j'étais apparu dans cette ruelle. Pourtant il insistait et c'était à se demander ce qui l'y poussais, ou ce qu'il reprochait à ma protégée.

Mais une chose était certaine, il ne me laissait pas le choix. Face à son obstination il me fallait le combattre; Car si je voulais protéger Louann déjà blessée, il ne partirais pas, il avait été clair. Alors je devais espérer qu'elle tienne une des promesses que nous avions échangé et qu'elle résiste, le temps que je puisse en finir avec lui. J'étais plus puissant, mais j'avais pu jaugé ses forces et il était d'un niveau élevé, suffisamment pour faire durer ce combat plus que nécessaire. Je ne pouvais perdre de temps et c'était dans cette optique que je ne laissait pas au démon le temps de réfléchir à ses attaques et le chargeai de front. Il assumait un coup, puis deux et je m'interrogeais... Pourquoi me laissait-il le frapper ainsi, sans répliquer ? Tout en restant sur mes gardes je regardais en direction de Louann qui semblait parler seule dans cette ruelle et venait de prononcer mon nom.

▬ Rien qu’une autre petite décharge, et je suis sûr qu’elle clamse ta jolie brune.

Étais-ce la sorcière qui accaparait son attention à cause de ses paroles ? Ou avait-il un plan qui m'échappait ? Je savais quel était son idée principale, voila pourquoi je restait entre lui et Louann, mais... Que cherchait-il en accusant les coups ?

Il me semble que j'aurais aimé ne pas obtenir de réponse à ses interrogations. Car c'était avec un dernier coup que je comprenait. Il semblait plus déterminé à chaque fois que ma main le heurtait et cette fois, elle fouetta le vide. Il avait esquivé ce dernier coup et usé de son pouvoir de télékinésie pour me propulser derrière lui.

C'était dans un fracas destructeur que j'avais heurté le mur, détruisant une partit des briques qui le composait. Il semblait avoir puisé de la concentration et de la détermination dans mes coups alors que je m'évertuais à le tenir éloignée de la sorcière par ce biais.

▬ Oups, t’es plus entre elle et moi !

Sans attendre je me téléportait pour m'interposer une nouvelle fois entre lui et ma protégée. Mais j'avais malheureusement pu voir les éclairs la toucher elle, juste avant que je ne me matérialise devant lui.

▬ Non !

Sans réfléchir, j'avais saisi la gorge du démon qui ricanais encore alors que mon Lux Dei le ferait taire à jamais. Quelques secondes seulement et il n'était plus.

Je me précipitais alors vers la sorcière, inconsciente. Non... morte. Son cœur, il ne battait plus et cette certitude m'avait frappée à l'instant ou j'avais posée une main sur elle pour la soigner. Mais ce n'était pas naturel, c'était cette décharge qui avait arrêté ses battements, c'était ce démon qui avait provoqué cette horreur et je levait des yeux au ciels en une prière silencieuse, comprenant par ce même silence divin qu'elle devait vivre.

Je gardais ma main sur son corps et laissait mon pouvoir soigner ses blessures, afin qu'il fasse revenir l'âme qui lui était toujours liée. Je sentait ce lien s'effriter, comme si elle était déjà happée par l'enfer, un pied entre ces deux mondes. Mais au fur et à mesure que mon pouvoir soignait son cœur et son corps, ce lien reprenait des forces. Je cessait alors d'exercer mon pouvoir, ses blessures guéries et posant mes deux mains sur sa cage thoracique, je tentais de faire repartir ses battements.

▬ Louann je vous en prie, votre heure n'est pas venue !

Un lieu de pure désolation, qui semblait n’avoir aucune fin quelle que soit la direction dans laquelle le regard se posait… une sensation de vide intense étrangement couplée à celle d’une souffrance indicible et sans limite… un mélange inimaginable de toutes les émotions négatives qui peuvent exister… l’enfer… la damnation éternelle… Je sentais déjà qu’elle m’oppressait, et pire encore elle me broyait avec une lenteur démesurée, comme si elle souhaitait prendre toute l’éternité pour détruire tout ce qu’elle pouvait, alors que paradoxalement je ne parvenais pas à avoir pleinement conscience de moi-même, de l’état dans lequel je me trouvais, sous quelle forme… Depuis combien de temps étais-je là ? Je n’en avais pas la moindre idée, mais j’avais cette sensation d’être aspirée, et de disparaître au milieu de toute cette désolation que je ne parvenais même pas à décrire… Depuis combien de temps étais-je là ? Je ne parvenais pas à rassembler mes idées suffisamment longtemps pour émettre quelque chose de constructif, trouver un moyen d’échapper à ce que je subissais… depuis combien de temps déjà ? Aucune idée… une autre sensation me parvenait, sans que je ne sache laquelle, et durant une seconde, le noir se fit de nouveau…

Je me réveillais en sursaut, poussant un hurlement horrifié, comme si je sortais d’un cauchemar. Ça aurait pu être un cauchemar, mais je le savais au plus profond de moi, ce que j’avais vu, ce que j’avais ressenti était réel… Complètement horrifiée par ce que je venais de voir, j’avais un réflexe de recul tandis que je me redressais rapidement et sans savoir pourquoi m’éloignais de la personne face à moi, ne prenant conscience qu’il s’agissait d’Ezechiel que lorsque mes yeux bleus pleins de terreur croisaient son regard vert inquiet. La respiration toujours haletante, conditionnée par la terreur que je ressentais, je ne parvenais pas à détacher mon regard de ses yeux, comme pour m’y raccrocher ; tandis que la sensation d’être oppressée ne m’avait pas quitté, tout comme ce vide intense et insupportable que je ressentais à l’intérieur de mon être, comme si j’avais été vidée de tout. Je sentais mes yeux s’embuer, mais les larmes restaient encore accrochées.

Je voulais parler, et j’ouvrais la bouche pour dire quelque chose, mais aucun son ne sortit. J’avais l’impression que ma volonté toute entière avait volé en éclats, et qu’il m’était impossible de la rassembler, et par conséquent impossible de faire quoi que ce soit. J’essayais encore d’articuler quelques mots mais rien ne prenait forme. Je n’avais plus aucune notion du temps, depuis quand étais-je dans cet état avec pour simple faculté celle de garder mes yeux fixés sur ceux d’Ezechiel ?

▬ Je…

Aucun autre mot ne put se former ; j’étais prise d’une violente nausée et après un temps qui me parut interminable durant lequel je m’accrochais au regard d’Ezechiel, je tournais brusquement la tête pour vomir sur le côté, accuser une quinte de toux, puis retenir un instant ma respiration avant de la relâcher encore tremblante.

Cela ne faisait qu'une minute humaine, deux tout au plus, mais après les soins apportés par mon don et le massage cardiaque que je lui avait donné, son réveil en sursaut avait semble coupé court à une éternité. Je ne pouvait pas perdre Louann et faillir à ma parole. Je ne pouvais perdre une autre protégée aux mains de l'une de ses abominations.

Quand elle se levait, je la suivait des yeux inquiet et ne perdait pas une seconde de ses mouvements, cherchant son regard du mien; cherchant à calmer ses sursauts et ce qui semblait être un état de panique.

▬ Louann... Mais elle ne semblait pas faire cas de mes paroles, ou ne pas les entendre. Peut être lui fallait-il le temps, le temps de réaliser qu'elle était là, a mes cotés et non pas dans ce monde atroce qui avait essayé de l'aspirer.

En voyant son regard humide, j'essayais de saisir quelle sentiment il exprimait mais... je n'était pas certain de pouvoir démêler tous ceux qui pouvaient avoir trouvé source dans ce qu'elle venait de vivre. J'approchais, prêt à poser une main salutaire sur son épaule pour l'ancré à cette réalité quand elle semblait vouloir parler. Je m'arrêtait et après ce court mot, la suivait sans réfléchir pour emprisonner doucement ses épaules dans mes mains alors qu'elle avait enfin retrouvé une respiration plus calme. Son état était alarmant, sa toux, le liquide qui tapissait le sol résultait probablement du choc, mais je ne pouvais que m'inquiéter d'avantage et sans défaire mes mains de ses épaules, je tentais de lui envoyer toutes les ondes rassurantes qu'il m'était possible de lui transmettre.

▬ Vous êtes en sécurité, vous êtes auprès de moi. Ce monstre n'est plus, je vous le promets...

Je regardait derrière nous, voyant le cadavre du démon que j'avais occis et pensait qu'il n'était pas judicieux de la faire rester ici plus longtemps.

▬ Permettez-moi de vous reconduire chez vous, Louann. J'étais ainsi près, si j'avais son accord, à la téléporter la ou elle résidait. S'il y avait lieu ou elle se sentirait en sécurité, n'étais pas la bas ?

J’avais l’impression que cet immense vide que je ressentais ne faisait que s’intensifier à chaque seconde, à chaque battement de mon cœur. Chacun d’eux provoquait d’ailleurs une autre douleur que je n’avais encore jamais ressentie, quelque chose que je ne parvenais pas à décrire et qui m’écrasait petit à petit. J’avais besoin de me débarrasser de cette sensation de mort qui m’avait envahie, et qui venait de me faire vomir le peu que j’avais dans l’estomac. Je reprenais une inspiration plus profonde mais aussi plus forcée. J’essayais de prendre la parole, mais ma gorge sèche et irritée refusait d’obtempérer. Alors avant de poser de nouveau mon regard dans celui d’Ezechiel, je faisais apparaître un peu d’eau au creux de ma main pour la boire, et la recracher dans l’espoir que le goût de la mort me quitterait lui aussi. Tout me ramenait à la mort…

Mon regard mouillé revint dans celui d’Ezechiel, et si j’avais entendu ce qu’il m’avait dit, j’étais pour l’instant incapable de répondre. Ezechiel avait pourtant tort, je n’étais pas en sécurité, quand bien même ce démon était mort. Ce que j’avais vu, ce que j’avais ressenti… la douleur qu’il avait pu m’infliger en m’électrocutant n’était rien en comparaison de cet aperçu de ce que j’aurai à vivre pour l’éternité. Inconsciemment, je hochais légèrement la tête de manière négative.

▬ Il… Commençais-je, mais incapable de continuer j’avalais ma salive pour reprendre. Vous n’imaginez pas… à quel point, il était insignifiant. Lui dis-je, parce que si je n’avais eu peur de lui, il en était tout autre de ce que j’avais vécu après qu’il m’ait tuée.

Je voulais oublier ce lieu de désolation, cette horreur sans fin qui m’attendait pour l’éternité. Je voulais me concentrer pour oublier, mais en fermant les yeux dans ce but, les images me revenaient et j’avais un sursaut avant d’ouvrir les yeux et d’immédiatement fixer mon regard dans celui d’Ezechiel… à ce stade je ne m’y accrochais plus, c’est bien au-delà…

▬ Il n’aurait pas pu créer pire endroit que ça… Lui murmurais-je, alors qu'une larme finissait par quitter l'un de mes yeux… Non, Lucifer n’aurait pas pu faire pire que cela, même s’il l’avait voulu. Et même sortie de cet enfer, je continuais à me sentir complètement vide et morte au plus profond de mon être.

Elle avait rincé sa bouche et semblait donc être là, bien présente, pourtant j'attendais toujours que des mots franchissent ses lèvres. Et c'était patient que je la regardais, sans ajouter plus que ce que j'avais déjà proposé. Je ne souhaitait ni la brusquer, ni la forcer à une chose qu'elle ne voulait pas. J'avais d'ailleurs lâché ma prise sur elle quand je l'avais sentie bouger et je quémandait seulement une réponse du regard lorsqu'elle posait de nouveau ses yeux sur moi; mais celle qu'elle me donnait finalement me déplu plus que je ne l'aurais cru.

▬ Il... Vous n’imaginez pas… à quel point, il était insignifiant.

Tout mon être sentait qu'il y avait plus sous cet aveu, qu'elle avait vu plus également. Et je me trouvais ici, si près d'elle et pourtant incapable de la comprendre pleinement. Alors qu'elle fermait les yeux, les miens restèrent ancrés sur son visage et je sursautait presque quand elle le faisait en les rouvrant.

▬ Louann ? J'avais prononcé son nom en faisant un pas dans sa direction, les bras tendus près à la soutenir s'il le fallait. Mais ce n'était pas son état physique qui aurait du m’inquiéter...

▬ Il n’aurait pas pu créer pire endroit que ça… C'était ces mots qui avaient tout confirmé. L'enfer, ce lieu de perdition dont je l'avait élevée, la ramenant sur terre... Elle avait vu, elle avait ressentit l'endroit suffisamment de temps pour provoquer cette peur mais aussi cette larme que je voyais couler sur sa joue.

Mes bras toujours levés dans sa direction, j'hésitais un instant les regardant pour juger de ce que je devait en faire. Et c'était en voyant la larme perler sur sa peau et descendre encore sur sa joue que je prenais une décision. J'avais comblé la distance qui nous séparaient en quelques secondes et passait maladroitement mes bras autour d'elle.

▬ J'aurais voulu vous en extraire plus vite, Louann. J'aurais voulu vous protéger d'avantage. Je suis désolé.

Je peinais à comprendre tout ce que je pouvais ressentir. Je subissais un véritable maelström de sensations en tout genre, un tourbillon qui ne cessait de remuer dans un sens puis dans l’autre. Mes ressentis changeaient d’une seconde à l’autre, et ce poids qui m’oppressait toujours semblait gagner en lourdeur à chaque millième de seconde qui passait. J’avais l’impression que le temps ralentissait pour me laisser subir plus amplement les affres de ce passage aux enfers.

J’essayais de reprendre le contrôle, mais rien ne semblait pouvoir balayer cette sensation de mort, et ce vide sans fin qui me rongeaient l’un comme l’autre de l’intérieur. Je ne parvenais à m’accrocher que par l’intermédiaire du regard d’Ezechiel, comme si le vert de ses yeux était mon unique lueur d’espoir. Je l’avais entendu prononcer mon nom, alors que fermer les yeux rien qu’une seconde m’avait de nouveau projetée dans ce lieu de désolation que je ne voulais pourtant plus revoir ; et j’articulais finalement quelques mots, qui traduisaient finalement tout ce que je pouvais ressentir.

Non, Lucifer n’aurait pas pu créer pire endroit que l’enfer. Je n’étais pas capable de dire combien de temps j’y avais passé, mais je n’avais jamais ressenti une telle désolation, un profond mal-être. Même la douleur de la perte de ma fille n’avait pas été si forte, et si ancrée. Comment avait-il pu faire pire sensation, pire douleur que la perte d’un enfant ?
Ezechiel me prenait dans ses bras, et me présentait des excuses pour ce que j’avais eu à subir. Ce n’était pas de sa faute… c’était de la mienne, tout avait toujours été de ma faute, car c’était mes choix qui m’avaient conduite ici.

▬ Ca n’est pas votre faute… ça n’a jamais été votre faute… Répondis-je, en passant également mes bras autour de lui, consciente que j’étais seule responsable de la situation.

Cette étreinte avait-elle un quelconque pouvoir de réconfort ? Je n’en étais pas certaine. Les sensations négatives que je ressentais ne semblaient pas se calmer, et je continuais de les ressentir.

▬ Ca… ça ne veut pas… s’en aller… cette sensation de mort, de… de désolation… de vide… comment a-t-il pu faire ça ?

Je resserrais mon étreinte, dans l'espoir qu'elle puisse apaiser tout ce ressenti négatif... priant même pour qu'elle puisse le faire.

Mes bras l'enlaçant, j'ignorais quoi dire de plus que ce que j'avais déjà avoué. J'aurais pu lui épargner cela si seulement j'avais vu clair dans le jeu de ce démon. J'aurais pu être plus rapide, intercepter cet éclair comme je l'avais fait avec la deuxième salve qu'il avait lancé. Mais j'avais faillit. Et si elle tentait de me décharger de toute responsabilité, je ne pouvais lui donner complètement raison. Peut être avait-elle vendu son âme, mais sa protection en ce jour avait été de mon ressort. Et si je l'avais sauvée, je n'avais pas sauvé son âme des quelques instants qu'elle avait passé en enfer. Alors quand elle avait dit ces mots et me serrait en retour, je ne pouvait taire ce que je pensais.

▬ Je ne vous ai pas destinée à l'enfer, mais pendant quelques secondes, je ne vous en ai pas protégée ! Je suis responsable de cela, Louann. Et j'en suis navré.

Ces mots étaient sincères, pourtant ils me semblaient inutiles et déplacés quand j'entendais ses nouvelles paroles et percevait cette détresse dans sa voix. Il me semblait que c'était de la détresse, mais mon esprit ne s'y attardait pas, pesant plutôt le sens de ses paroles.

▬ J'aimerais pouvoir vous en défaire ! Je ferais tout ce que je peux pour vous y aider. Lucifer... il n'est plus rien de ce qu'était mon frère... J’exècre ce qu'il a fait de ce lieu, mais... j'ignore comment il s'y ai pris ou pourquoi...

A dire vrai, je n'avais jamais eu autant de descriptions du lieu; rare étaient les humains qui en voyait un aperçu comme l'avait fait Louann. L'aider, lui faire oublier semblait alors plus difficile encore. Comment pouvais-je la purger d'un lieu dont je ne connaissait presque rien ?

▬ Dites-moi quoi faire, Louann ? Que puis-je faire pour vous aider ? Souhaitez-vous que je vous reconduise chez vous ? Avez-vous un lieu plus sûr ?

Je la toisais, essayant de trouver par moi même une solution, un indice dans ses gestes ou son regard que je sondait du mien. Mais seul un souvenir me revenait en mémoire. Cette nuit ou elle m'avait demandé de rester auprès d'elle pour faire face à la douleur qui la tenaillait.

▬ Si vous le souhaitez, je resterais auprès de vous, si cela peu vous aider, vous apaiser. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir, Louann.

Il fallait que je me défasse de toutes ses sensations néfastes qui me dévoraient et me broyaient, de ce mal-être si profondément ancré qu’il en était probablement indicible désormais. Mais il me fallait l’affronter et le repousser, je ne pouvais pas le laisser me dévorer de l’intérieur jusqu’à qu’il ne subsiste plus rien de moi. Pourtant c’est ce qu’il se passait présentement. La mort, la désolation et le vide m’avaient complètement envahie, et je ne ressentais plus rien d’autre que cela…

J’espérais que l’étreinte d’Ezechiel y change quelque chose, qu’elle me ramène vers un semblant de vie. Peut-être que sentir son cœur battre contre moi pouvait repousser cette impression d’être morte… Je l’exhortais à ne pas se sentir coupable de ce que je subissais, car de mon point de vue, je restais seule responsable de mon sort ; mais Ezechiel estimait avoir failli à sa tâche. Je n’avais pas vraiment la force ni même la volonté de débattre sur le sujet, aussi lui laissais-je la part de responsabilité qu’il réclamait.

J’essayais de mettre des mots sur ce que je subissais, pour en faire part à Ezechiel. En temps normal, j’aurai certainement gardé tout cela pour moi, mais ce que je ressentais dépassait tout ce que j’avais pu connaître pendant trois siècles et demi. Je voulais trouver une forme de repos ou d’apaisement, quelque chose qui me permettait de me raccrocher à un sentiment de vie. La tête appuyée contre le torse d’Ezechiel, je laissais mes paupières se fermer ; et encore la vision de l’enferme revenait, provoquant la réouverture immédiate de mes paupières. Je ne voulais pas revoir ça… plus jamais… alors que j’étais bel et bien destinée à m’y retrouver et à y passer l’éternité.

▬ J’en sais rien… Répondis-je à Ezechiel quand il me demandait ce qu’il pouvait faire pour m’aider. Je n’en avais pas la moindre idée, car je n’avais jamais ressenti une telle horreur et une telle terreur. Y’a pas vraiment d’endroit sûr… chez moi, ce sera très bien. Lui dis-je, oubliant complètement le facteur « Mordred » et le facteur « Adonis ».

J'ignorais si l'étreinte que je lui offrais avait une quelconque utilité; je n'avais agis que par mimétisme, me souvenant sans trop de mal que l'humanité semblait avide de ce geste ci en des moments difficiles. Mais j'ignorais pourquoi ou comment cela pouvait régler le moindre problème. Peut être étais-ce la proximité d'un autre, ou bien... ressentaient-ils par ce biais cet apaisement que nous anges pouvions normalement insuffler ? En ce jour, lui offrir ce calme aussi simplement semblait exclu, mais même mes bras autour d'elle ne paraissaient pas avoir d'effet, car j'avais sentit son cœur s’accélérer alors que sa tête trouvait repos sur mon torse.

Et voila qu'avec ces battements qui s'emballaient, je n'avais toujours pas idée de ce que je pouvais faire pour l'aider. Elle même semblait perdue et ne pas pouvoir donner réponse à cette question. Je la toisais, alors qu'elle s'était avouée ne pas savoir comment je pouvais l'aider et attendait. Attendait un signe, une parole, n'importe quoi pour aider mes gestes ou mes mots. Car j'étais plus perdu que de coutume et sa proximité, dans mes bras ne pouvais durer éternellement sans une autre solution pour la compléter.

Elle répondait cela dit à l'une de mes questions et c'était dans un silence et un soupir que je nous téléportaient tous deux, toujours enlacés, jusqu’à son salon que j'avais gardé en mémoire.

▬ Peut être voudriez-vous vous asseoir ? Boire de l'eau ? Je regardais autour de nous, peu certain sur les endroits à choisir pour cela. Et il m'était difficile voir impossible de le faire sans rompre l'étreinte que la sorcière semblait vouloir maintenir. Je gardais alors mes bras autour d'elle et laissait planer le silence dans l'attente d'une indication de sa part; plongeant mes yeux dans les siens pour tenter de sonder son esprit. Alors que j'étais toujours si proche d'elle, une idée me vint et c'était dans ces yeux que je l'avais trouvée. Je ne pouvais ressentir ce qu'elle ressentait ou le comprendre, mais je pouvais voir.

▬ Si vous m'y autorisez, je pourrais grâce à notre contact voir ce souvenir pénible et peut être... pourrais-je vous aider plus aisément ?

Le retour à mon appartement ne changeait strictement rien à ce que je pouvais ressentir. Même dans ce lieu qui m’était familier et globalement agréable, je me sentais toujours aussi oppressée par la désolation, la mort et le vide. J’avais cette sensation qu’ils avaient fait disparaître tout le reste, tel un trou noir qui engloutit tout ce qui passe à sa portée. Et j’avais l’impression que ce ressenti avait quelque chose de définitif, que je n’avais plus rien d’autre que cette oppressante présence qui me comprimait le cœur et chaque cellule de mon être. Il n’existait pas d’échappatoire à mon châtiment, et je savais désormais quelle forme il revêtait.

À cet instant, il n’y avait qu’une seule chose qui me raccrochait à la vie, même si elle ne parvenait pas à éclipser tous les ressentis néfastes qui m’assaillaient… une seule chose vraiment : la présence d’Ezechiel. Je ne me sentais pas pour autant vivante ou en sécurité, j’avais même peur que la mort et la désolation ne me laissent plus le moindre répit désormais. Il n’y avait bien que les paroles d’Ezechiel pour m’extirper de mes visions de l’enfer, de ce qui m’attendait pour l’éternité. Les deux premières questions d’Ezechiel ne m’atteignirent pas vraiment, parce que je n’avais aucune idée de la réponse que j’aurai pu lui fournir. Je n’avais ni besoin d’eau, ni même de m’asseoir. J’étais incapable de dire de quoi j’avais besoin, ou tout du moins, j’étais incapable de savoir comment obtenir ce dont j’avais besoin : une sensation d’être toujours en vie.

La question suivante me sortit néanmoins de cette espèce de catatonie que je vivais. Je ne voulais jamais revoir l’enfer, ni même y retourner – quand bien même je n’aurai pas le choix – alors partager le souvenir immonde que j’en avais et ce qu’il avait pu me faire, il en était tout bonnement hors de question. J’avais un mouvement de recul afin de pouvoir plonger mon regard dans celui d’Ezechiel.


▬ Jamais. Répondis-je sur un ton des plus catégoriques. Ne regardez jamais ce souvenir. Cela n’avait rien d’une demande, c’était davantage un ordre. Promettez-moi que vous ne regarderez jamais.

Alors que je prenais pleinement conscience de ce que ce lieu avait fait de moi, il m’était tout bonnement inenvisageable que qui que ce soit d’autre puisse partager l’horreur que je ressentais… et encore moins Ezechiel, un être diamétralement opposé à un lieu tel que l’enfer.

Il m'était difficile de me sentir si impuissant quant il s'agissait de protéger un être humain. Elle avait survécu, j'avais pu sauver son âme et lui donner un sursis, mais son état ne cessait pourtant pas de m'inquiéter, même si nous avions à présent comme décor le confort de son appartement. J'avais pensé qu'en voyant un endroit familier, elle parviendrait à se calmer et parler d'avantage. Mais en voyant qu'elle ne répondait pas à ma première requête concernant l'eau ou si elle désirait s’asseoir; je savais que je m'étais lourdement trompé.

Sans réponse, sans mouvement de sa part, j'avais ainsi gardé mes bras autour d'elle; lui offrant par là ce que j’espérai être une forme de réconfort. Pourtant, elle ne semblait pas trouver de quiétude et si elle parlait de nouveau, ses mots étaient des plus brefs, m'inquiétant plus encore. Elle refusait sans détour que j'accède à ses souvenirs, que je vois par moi même ce qu'elle avait vu. Je cru un instant qu'elle avait peur de les revivre si je faisait ainsi, puis, quand elle avait insisté, je comprenais. Ce n'était pas ce qu'elle pouvait voir, mais ce que je pourrais y voir qui semblait la déranger ! « Ne regardez jamais ce souvenir. » Je la toisais, ne sachant pas exactement la raison qui la poussait à me dire cela. Souhaitait-elle me protéger ? Je n'était certain de rien, mais qu'elle que soit sa raison, elle était déterminée et me faisait à présent promettre de ne jamais tenter d'y accéder.

▬ Je n'en ferait rien, Louann. Je vous le promet ! Je souhaitait l'aider, certes; mais violer ainsi son esprit allait à l'encontre de tout ce en quoi je croyais ou des lois divines. Sa décision, son choix. Je n'irais pas contre.

▬ Je ne briserais jamais cette promesse, pourtant... je veux vous aider, je veux apaiser votre esprit et cette étreinte me semble bien insuffisante.

Elle avait beau avoir reculer pour me regarder, mes bras étaient toujours autour d'elle et c'était de cela dont je parlais. Comment pouvais-je l'aider si je n'avais pour outil que si peu de choses ?

▬ Dites-moi ce que je peu faire, n'importe quoi ! Votre âme n'est plus en ce lieu et je refuse qu'il soit la seule chose à laquelle vous pensiez, Louann.

Il fallait qu'elle me guide, qu'elle me dise ce qu'elle ressentait, car je ne pouvait déchiffrer ses émotions en un simple regard ou lire entre ses mots.

▬ Comment vous sentez-vous ?

La question semblait étrange, peut être était-ce déplacé, mais je voulais comprendre et je n'avais pas d'autre solution pour ce faire. Aussi, j’espérai qu'elle comprenne mon intention.

S’il y avait une chose dont il m’était impossible de douter, c’était la sincérité d’Ezechiel et sa capacité à tenir une promesse faite. Lorsque je l’entendais me jurer qu’il n’en ferait jamais rien, j’étais alors certaine qu’il ne verrait jamais ce souvenir et qu’il lui serait donc impossible d’en souffrir si jamais la simple vue de ce que j’avais traversé pouvait atteindre et mettre à mal sa grâce. Cette promesse aurait dû me soulager, sûrement était-ce le cas mais j’étais tellement broyée par des ressentis négatifs qu’il m’était impossible d’éprouver ce soulagement. Je ne lui offrais qu’un léger signe de tête en approbation de ce serment qu’il me faisait.

Il reprenait bien rapidement la parole, avouant que l’étreinte qu’il m’offrait lui semblait un piètre réconfort. Il n’avait pas tort, je ne me sentais pas mieux. Pas pire non plus, mais pas mieux. J’ignorais s’il m’était possible de me remettre de l’état dans lequel je me trouvais présentement. Je voulais que l’incommensurable vide qui me rongeait se remplisse autrement qu’avec toute cette désolation, cette mort imprégnées jusqu’au plus profond de mon être ; mais je ne parvenais pas à trouver une quelconque façon de le faire. Il refusait que ce soit la seule chose à laquelle je pense, et j’aurai voulu penser à tout autre chose que cet ignoble endroit, mais comment… ?

Ne pas y penser relevait de l’impossible. Ce que Lucifer avait créé… je ne pouvais pas le décrire, et je n’aurai jamais pu l’imaginer si je ne l’avais pas vécu. La question suivante d’Ezechiel me provoqua comme un électrochoc, et inconsciemment je me défaisais finalement de son étreinte. Comment je me sentais ? La réponse n’était certainement pas celle qu’il aurait voulu entendre… et ce n’était pas non plus celle que j’aurai aimé formuler.

▬ Morte… Lâchais-je dans un souffle.

J’avais l’impression que mes propres paroles résonnaient dans mon crâne. Mais ma réponse n’aurait pas pu être plus exacte, je me sentais complètement morte. Et j’ignorais comment y remédier… Je ressentais ce besoin de me sentir vivante à nouveau au milieu de cette mort qui étouffait, je l’entendais presque hurler au plus profond de moi… il fallait que je me sente vivante à nouveau… et je reposais mon regard dans celui d’Ezechiel… il se passa une seconde ou deux, qui me parurent bien plus longues. Soudainement je savais parfaitement ce dont j’avais besoin pour renouer avec la vie.

Je m’approchais de nouveau d’Ezechiel, et sans prévenir je venais plaquer mes lèvres sur les siennes, lui offrant un baiser comme je n’en avais pas offert depuis bien longtemps.

Encore une fois et ce, malgré ma promesse Louann semblait... éteinte. Je ne décelais aucune émotion sur son visage, pas même une que je ne pouvait déchiffrer. Car quand j'avais promis la chose, elle n'avait fait que hocher la tête sans paraitre une once soulagée ou plus calme. Elle semblait différente, étrange et si je saisissait que ça avait un rapport avec l'enfer et ce qu'elle avait vu dans ce cours laps de temps... Je ne pouvait pourtant pas comprendre ou l'aider puisque je venais de lui faire une promesse à ce sujet.

Je me sentait bien incapable en cette soirée, alors que je lui disait être là pour la protéger, remplacer ma sœur dans son ancienne mission... j'étais totalement impuissant et dans l'incapacité de faire quoi que se soit pour l'aider. Mon étreinte semblait dérisoire, je le lui avait même confié alors que je voyais qu'elle ne donnait aucun résultat. Mon pouvoir divin ne semblait pas lui insuffler la moindre pensée positive, ou alors elles n'étaient en rien suffisantes pour contrer ce que Lucifer avait créé.

C'était comme si toutes mes paroles étaient tombées dans un abysse, comme si elle n'entendais rien ou ne comprenait plus un mot de ce que je disait. Elle me semblait absente, comme si elle se trouvais toujours happée par le lieu, bien que je l'en ai tirée. J'insistais, dans l'espoir de trouver quoi faire; lui demandant comment elle se sentait. Et comme dans un sursaut la ramenant à la réalité, elle s'était détachée de mon étreinte et semblait avoir cette fois entendu mes paroles.

▬ Morte.

Ce mot résonna dans mon esprit de nombreuses fois, alors que je contemplais son visage impassible. Étais-ce donc à cela que ressemblait la mort ? Je commençais à saisir pourquoi son visage ne témoignait aucune émotion, car elle semblait ne pas en ressentir si ce n'était celle-ci. Un sentiment de mort. Je ne pouvais pas savoir ce que c'était, ce que cela inspirait. C'était bien là le dernier sentiment humain que j'aurais pu saisir, éternel comme je l'était. J'aurais voulu parler, dire quelque chose qui la rassurerait, qui l'aiderait, mais aucun mot n'avait trouvé le chemin de mes lèvres et je restait interdit me reprochant l'état de la sorcière. Si seulement j'avais réagit plus vite... Si j'avais pu arrêter le démon avant qu'il ne lui assène cette dernière décharge... Mes yeux se perdaient dans le vide, puis dans les siens alors que mon esprit divaguait sur toutes ses choses, se remémorant également son dernier aveux. Morte. J'ignorais quoi dire, quoi faire et ne connaissait que trop peu la vie humaine, la mort, pour trouver les mots. Mais le silence que je tenais risquais de lui peser et je me reprochais ce manque de réaction et d'aide que je lui apportait. Je ne peu rester impassible en la regardant souffrir de mes erreurs... Mais je n'avais pas plus trouvé de mots et c'était Louann qui avait réagit avant moi, m'extirpant de mes pensées si sombres alors que je sentait ses lèvres se poser sur les miennes.

C'était la seconde fois qu'elle avait un tel geste à mon encontre, pourtant cette fois-ci semblait différente. Je la dévisageait, peu certain de ce qui avait provoqué ce geste et demandait, rompant finalement mon silence:

▬ Pourquoi ce baiser ?

J'ignorais s'il était déplacé ou irrespectueux que de demander une telle chose, mais je n'était pas en position de comprendre quoi que ce soit pour l'instant et il me fallait les lumières de la sorcière pour y arriver.

▬ Je suis navré, je veux vous aider, j'essaie de comprendre. Ce que dont vous avez besoin. Ce que ce geste représente... Je suis désolé si la question à pu vous paraître déplacée...

Je baissais les yeux, honteux de ne pouvoir pas faire mieux, ou plus pour elle dans l'état ou elle se trouvait. Il me semblait qu'avec mes paroles, mes questions, je ne faisait que rendre la chose plus difficile encore.

▬ Je vous fait défaut quand vous avez besoin de moi...

À l’instant même où mes lèvres venaient trouver celles d’Ezechiel, j’ignorais encore si cet acte à la fois impulsif et réfléchi m’accorderait un quelconque réconfort, et je n’étais même pas certaine d’en ressentir l’espoir. Ce mal innommable que je ressentais me paraissait si fort et si durement ancré au plus profond de moi que je l’aurai cru intarissable. En réalité, j’étais même convaincue que je ne pourrais jamais plus m’en défaire, que j’étais marquée à vie par le lieu que je retrouverai à ma mort. Pourtant, aussi impossible que cela me semblait l’être, ça ne l’était pas.

Alors que je volais un baiser à Ezechiel, cet insupportable ressenti de mort me semblait vaciller, perdre légèrement de sa force, et de ce poids qui m’écrasait. J’avais besoin de sentir la mort qui m’enlaçait si fortement me quitter, besoin de me sentir vivante. Et durant ce bref instant où mes lèvres trouvaient celles d’Ezechiel, j’en avais ressenti l’esquisse. Cela pouvait-il être si… simple ? Je n’en étais pas certaine, en fait plus rien ne me semblait certain désormais.

Bien évidemment mon geste ne revêtait pas le moindre sens pour Ezechiel. Ce n’était pas la première fois que je l’embrassais, et cette fois encore, il ne comprenait pas mon geste. Moi-même, je n’étais pas capable de le comprendre. Je l’avais eu sur une pensée paradoxalement impulsive et réfléchie. Je n’aurais pas su lui expliquer comment ne serait-ce que l’idée de l’embrasser une nouvelle fois m’était venue au milieu des pensées négatives qui tourbillonnaient dans mon esprit. Comment pourrais-je répondre à ses interrogations si moi-même je n’avais pas la moindre idée de la raison de mon comportement.

▬ Je ne suis pas sûre de le comprendre moi-même. Avouais-je, un peu confuse, avant d’ajouter : Je me demandais comment me sentir à nouveau vivante, et… je ne sais pas, mon inconscient a dû dire « essaie »…

Ça n’aurait probablement pas davantage de sens pour mon ange gardien, mais comment lui expliquer un acte auquel je n’avais pas réellement réfléchi avant de l’exécuter ? J’étais tout aussi ignorante que lui quant à la raison de mon geste, j’ignorais ce qui m’y avait véritablement poussé. Ce que je n’ignorais pas néanmoins, c’est l’effet que cela avait eu. Durant ce bref instant où j’avais volé un baiser à Ezechiel, j’avais senti l’insupportable poids de la mort relâcher de sa pression.

▬ Je devais juste essayer et voir si… je ne sais pas… ça m’a semblé moins lourd à porter pendant un bref instant. Lui dis-je, totalement incertaine de ce que j’avançais.

J’avais simplement besoin de renouer avec la vie, et cela avait semblé fonctionner durant ce court instant. Pourquoi, je n’aurai su le dire. Peut-être simplement parce que je parvenais à cesser d’y penser ainsi, sans qu’il n’y ait de raison véritable.

▬ Vous ne me faîtes pas défaut… vous êtes là.

Lorsque Louann répondait, aucun éclaircissement n'avait été fait sur la raison de son acte. Ma question, toujours sans réponse semblait l'être également dans son esprit. Les humains faisaient-ils aussi souvent des choses sans y réfléchir ? Ou bien était-ce seulement qu'elle ignorait toute l'étendue de sa réflexion ? Après ce qu'elle venait d'expérimenter, il était normale d'imaginer qu'elle fusse encore affectée autrement que par le sentiment qu'elle décrivait. La mort. Son esprit pouvait être encore 'absent', déphasée avec notre plan. C'était après tout de l'enfer que je l'avait extraite, même si elle n'avait fait qu'en avoir un court aperçu.

Je tentais tant bien que mal de décortiquer ses paroles, les répétant en pensées pour y trouver un sens. Je me demandais comment me sentir à nouveau vivante... J'ignorais qu'il s'agissait là d'un sentiment ou d'une sensation jusque là. J'étais, j'existais, mais je n'avais jamais ressentit la chose. ...et… je ne sais pas, mon inconscient a dû dire « essaie »… Le conscient, l'inconscient... je connaissait ces mots, mais ils étaient seulement ça pour moi. Des mots humains qui ne trouvaient pas place pour un être comme moi. Mes actions qu'un humain aurait pu qualifier d'inconscientes faute d'autre mot étaient toujours empreintes d'une volonté, d'une raison. Les leurs l'étaient-elles aussi ? La sienne l'était-elle ?

▬ Je suis là physiquement, certes. Mais je ne saisis pas ou ne peu trouver de remède à votre mal... Ce n'est pas là le réconfort que je voudrais vous offrir.

J'ignorais pourquoi elle avait parlé de se sentir vivante, ou encore comment ce simple baiser lui avait offert un moment de répit. J'ignorais les choses telles que celles-là, elles étaient pour moi bien étrangères et relevaient probablement de sentiments que je ne pouvais appréhender ou ressentir.

▬ Est-cela qu'il me faut faire ? Simplement rester auprès de vous ? Est-ce que cela vous apaise ou vous fait sentir vivante ? Je ne bougeais pas, gardant mon enveloppe parfaitement immobile alors que mon regard tentait de la sonder et de capter quelque chose dans ses traits.

▬ Je ne veux qu'une chose, vous défaire de ce sentiment néfaste, mais... je ne peux pas le faire si j'ignore ce qui as fonctionné plus tôt. Il vous faudra m'aider à comprendre, Louann. Je vous en prie.

J’ignorais comment expliquer clairement à Ezechiel ce qui m’avait permis de sentir ce poids incommensurable s’alléger l’espace d’un instant. Il ne s’agissait pas d’un sentiment d’amour perçu ou même donné ; depuis la mort d’Aaron, et quelques années plus tard celle de Sélène, j’avais fui ce sentiment, refusant catégoriquement de souffrir à nouveau par son intermédiaire. J’avais déjà eu à supporter l’insupportable, à surmonter l’insurmontable, je n’avais plus la force pour une autre douleur indicible. Alors non, ce n’était pas de l’amour, et ça n’en serait jamais.

Ainsi je ne parvenais pas à me l’expliquer… comment aurais-je pu l’expliquer à Ezechiel ? Peut-être me suffisait-il de dire que je ne pouvais simplement pas le faire, parce que j’ignorais sincèrement d’où provenait ce sentiment d’apaisement au contact de ses lèvres ; je n’avais jamais ressenti un mal être si intense, je n’étais peut-être pas apte à comprendre la façon de l’apaiser.

▬ Je ne sais pas comment l’expliquer… Avouais-je, un peu perdue – ce qui ne l’aiderait sûrement pas à s’y retrouver non plus – mais sincère. J’essayais vraiment de trouver l’explication, mais elle me demeurait inconnue. Je n’avais jamais ressenti quelque chose comme ça… c’est tellement différent de ce qui m’a déjà brisée auparavant… La mort de Sélène était l’indicible douleur dont je ne pouvais me défaire, mais elle était très différente de ce que ce j’avais ressenti durant mon bref passage en enfer ; ces deux souffrances étaient complètement différentes et absolument incomparables.

▬ Je ne comprends pas, je ne suis même pas sûre d’y arriver un jour. Je ne sais pas pourquoi j’ai été apaisée par ce baiser et cette proximité, je sais juste que je l’ai été. Ce n’est pas de l’amour, ce n’est pas de l’affection, ou du désir… ça n’a même aucun sens pour moi. Peut-être que c’est juste un instinct humain primitif, et que ça marche, c’est tout…

Les explications de la sorcière étaient une fois de plus peu utiles, floues, sans sens ou sans qu'elle y trouve elle même une raison, un sentiment. Elle l'avait fait, elle l'avait sentit. Voila tout ce que j'avais comme informations. Mais j'avais trop peu de compréhension de l'être humain pour me satisfaire de ces quelques mots. Comment pouvais-je comprendre ce qu'elle ne comprenait pas ? Comment pouvais-je saisir et agir si je n'étais guidé par rien d'autre que cela ?

Je la toisais, le regard interrogateur, un sourcil relevé alors que je tentais de déchiffrer quelque chose qu'elle aurait ignoré elle même. Échec cuisant ! Aucun mot, aucun sentiment, aucune réponse ne figurait dans ses traits et il me fallait me rendre à l'évidence... j'étais dans l'incapacité de l'aider.

▬ Je ne saisis pas les actions inconscientes, ou primitives ? Je... suis navré Louann. Je ne puis vous aider, il me semble qu'a chaque phrase que vous formulez... je suis plus perdu encore.

Elle avait dit ne pas comprendre plusieurs fois, puis ne pas pouvoir y parvenir... Et bien je pouvait dire avec certitude qu'il en était de même pour moi. Jamais je ne saurais dire ce qui s'était passé quelques minutes plus tôt, ou ce qu'il me fallait dire ou faire.

▬ Ce n'est pas votre faute, croyez-moi. Je... Je suis très limité dans ma compréhension des humains et l'enfer s'y ajoutant... C'est un lieu que je connais bien moins encore.

Je refusais de la laisser croire qu'elle était en faute dans mon incompréhension. Un humain aurait probablement compris ce qu'elle expliquait, même si elle semblait ne pas être sûre de tout. Mais j'étais, pour ma part, bien loin de pouvoir saisir une once des paroles qu'elle avait prononcé depuis que je l'avais ramenée. En tant qu'ange, chacun de mes actes étaient conscient, avaient un sens. Qu'il s'agisse de missions directes, de combats... je savais toujours ou était ma place et pourquoi j'agissais. Je doutais être capable de pouvoir appréhender cet instinct quel décrivait.

Je ne parvenais pas à trouver une explication à ce que j’avais fait, ni à pourquoi je me sentais mieux. Je ne faisais qu’exclure les possibilités au fur et à mesure qu’elles me venaient à l’esprit. Je n’aurai peut-être jamais la réponse, et je ne pourrais jamais l’expliquer à Ezechiel… Mais peut-être aussi que ce n’était absolument pas nécessaire à son fonctionnement. Plutôt qu’essayer en vain d’expliquer une chose que je ne comprenais pas moi-même, il était sûrement préférable que je lui montre.

Je chassais de mes pensées l’idée de comprendre et de parvenir à m’expliquer, alors que je me sentais toujours aussi envahie par ce mal qui m’attendait patiemment… Je prenais une profonde inspiration, avant d’embrasser Ezechiel à nouveau, et de me sentir apaisée… Ce n’était définitivement pas de l’amour que je ressentais, ni même une quelconque forme de désir à l’égard d’Ezechiel, simplement de l’apaisement qui provenait de je-ne-savais-où. Après un baiser un peu plus long que le précédent, je reculais pour tenter une autre explication.

▬ Pendant ces quelques secondes, j’ai ressenti de l’apaisement. Je ne peux pas l’expliquer, et je ne pourrais sûrement jamais. Mais j’ai senti le poids de l’enfer s’alléger pendant ce bref instant… Expliquais-je en espérant que cette fois-ci, il me comprendrait. Et je crois qu’il peut disparaître, peut-être pas complètement, mais au moins en partie… seulement j’ai besoin de vous… j’ai besoin de… ça… de cette proximité, de ce geste et de ce qui en découle…

C’était au-delà du besoin, car je me sentais si écrasée par le poids de l’enfer que j’avais l’impression que je n’y survivrai pas… peut-être était-ce pour cette raison que je me sentais morte.

▬ Je sais que vous n’avez pas le droit d’aimer… mais je ne vous demande pas de m’aimer… juste de m’aider… à faire taire l’enfer.

Et pour la troisième fois en l’espace de quelques minutes, je venais poser mes lèvres sur les siennes…

Elle ne semblait pas avoir été blessée par mes paroles, ou bien était-ce normal de faire ce qu'elle avait fait ensuite après ce que j'avais dit ? Non, probablement pas. Je n'avais pas prévu ce baiser qu'elle m'avait donné, pas plus que compris son sens. Il me semblait que le temps se répétait, en boucle, encore plus lorsqu'elle ajoutait quelques mots. La même pensée, le même sens: l'incompréhension. Mais elle n'était pas la seule à ne pas comprendre et à ce baiser, j'aurais voulu lui répondre autre chose que ce que je m'apprêtais à faire.

Mais peut être n'étais-je pas destiné à prononcer ces mots, car elle avait parlé, m'empêchant de dire un seul mot.

▬ De ce... Ce qui en découle ? J'avais offert à la sorcière des yeux ronds, peu certain de comprendre ou elle voulait en venir par là. Je ne pu cependant pas ajouter autre chose ou exprimer pleinement ma pensée que bien vite, elle ajoutais :

▬ Je sais que vous n’avez pas le droit d’aimer… mais je ne vous demande pas de m’aimer… juste de m’aider… à faire taire l’enfer.

Qu'entendait-elle par là ? Je n'avais pas la réponse et ce nouveau baiser, le troisième en quelques instants, m'avait interrompu dans mes songes.

▬ Comment puis-je le faire taire ? Par... ces étreintes ? Je... je ne suis pas sûre de saisir. J'aimerais le faire, mais Louann... Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous me demandez !?

Je posais un regard bienveillant sur elle et tentait de lui faire comprendre que je ne rejetais pas l'aide qu'elle me demandait. J'aspirais seulement à être éclairé sur ce qu'elle désirait.

Par mes derniers mots, j’espérai une réponse ,un éclaircissement et surtout pouvoir enfin apaiser ses maux. Je priais en mon fort intérieur, d'être capable de sauver ses songes avant de parvenir à sauver son âme.

À cet instant, plus rien n’avait de sens pour moi. À croire que l’atmosphère qui régnait en enfer avait en réalité gagné mon esprit pour y semer le doute et le chaos… Étais-je toujours en pleine possession de mes moyens ? Mes pensées étaient-elles les miennes ou étaient-elles induites par autre chose ? Ces interrogations elles-mêmes avaient-elles du sens ? Il me semblait que non, et peut-être était-ce la raison pour laquelle je ne parvenais pas à m’expliquer auprès d’Ezechiel, parce que rien n’avait de sens présentement.

Probablement aussi perdu que moi, Ezechiel m’interrogeait, peu certain de saisir l’objet de ma demande. Je n’en étais pas certaine non plus ; tout ce que j’avais compris c’est que cette proximité, cette intimité, me permettait de repousser les enfers et leur emprise sur mon esprit. Il me demandait de confirmer que ces étreintes pouvaient me réconforter, de l’aider à comprendre que je lui demandais.

▬ Ces étreintes… ces baisers… ce contact physique… je ne peux pas l’expliquer, mais oui, c’est de cela dont j’ai besoin. Lui dis-je plus clairement, pour confirmer ce qu’il n’était pas certain de comprendre.

Peut-être n’étais-je pas aussi claire que j’aurai dû l’être, mais mon esprit demeurait embrouillé par le poids des enfers. Il fallait que j’en réchappe, que cette emprise sur moi diminue le plus rapidement possible.

Je demeurais aussi proche d’Ezechiel que je le pouvais, comme si m’éloigner de lui c’était prendre le risque de tomber en morceaux. Je prenais une profonde inspiration, me retenant de l’embrasser une fois encore.

▬ Je suis désolée si ça n’a aucun sens pour vous… Ajoutais-je, car il était certain que cela n’avait aucun sens pour Ezechiel.

Alors qu'elle confirmait ses mots et répondait ainsi à ma question, mon esprit tout entier semblait chercher un sens à tout cela. Même si elle n'en trouvait point, même si j'avais peu de chance de saisir la complexité de l'humaine... je n'avais pu retenir cette réflexion.

En entendant la sorcière s'excuser du peu de sens qu'avait la situation pour moi, j'abdiquais. Il m'était impossible d’appréhender des choses si humaines, si empreintes de sentiments ou d'émotions... J'ignorais quelle était le véritable coupable, ou la nuance réelle entre les deux. Je ne savais pas plus si l'un ou l'autre était le coupable ou si ce qu'elle avait vu était une raison à elle seule.

▬ Louann... Je veux vous aider à atteindre cette sérénité. Mais... ce genre de gestes... C'est plus que leur sens qui m'échappe.

Je n'étais que peu sûr concernant la manière de lui présenter la chose. Que devais-je dire pour qu'elle comprenne que l'ange que j'étais avait n'avait pas simplement des lacunes concernant l'humanité dans tous les sens du terme. Mais que j'étais tout bonnement incapable de saisir, ressentir ou appréhender ce qu'elle disait lui être nécessaire ?

▬ Ce sont également les sentiments qui y sont associés. J'ignore si je peux vous être salvateur ou si... vous comprenez l'étendu de ma nature ?

Je marquais une nouvelle pause, plongeant mon regard dans le sien, espérant par là qu'elle saisirait ce que je voulais dire.

▬ Ce que je tente de vous dire... C'est que j'ignore si je peu vous offrir le moindre réconfort sans être capable de ressentir les sentiments qui animent ce genre de gestes humains.

Voila qui me semblait plus limpide, pourtant il m'avait été difficile de trouver cette formulation. Les mots ne m'échappaient pas, mais il me fallait souvent redoubler d'efforts lorsque j’abordai des sujets aussi complexes pour ma nature.

Toujours si proche d'elle, je baissait le regard, contemplant les mains de mon enveloppe terrestre quelques secondes avant de les relever, posant mes paumes sur le visage de la sorcière. J'approchais alors mon visage du sien et posait mon front sur le sien avec douceur.

▬ Apaiser votre âme, m'est important. Je serais là pour vous, Louann. Mais je ne peu vous offrir rien d'autre que cela...

La situation entière m’était totalement étrangère, absolument incompréhensible. Je ne parvenais pas à la comprendre, et par la même, je ne parvenais pas plus à l’expliquer à mon ange gardien, qui pourtant aurait bien eu besoin de mes éclaircissements. Alors je lui avouais ne pas comprendre, et lui faisais part de mon ennui de le confronter à quelque chose qui n’avait sûrement pas le moindre sens pour lui… ça n’en avait même pas pour moi !

Ezechiel m’assurait vouloir m’aider à retrouver un semblant de paix, et je n’avais pas la moindre raison de douter de lui. Il avait su gagner ma confiance, là où tout autre ange aurait probablement échoué après ce que j’avais vécu avec ma précédente gardienne ; aussi il m’était impossible de douter de la véracité de ses propos. Il désirait néanmoins me mettre en garde, que j’aie conscience de toute l’étendue de sa nature. J’en avais conscience… Castiel m’avait longuement parlé des anges durant nos très nombreuses années d’amitié, si bien que j’avais pu cerner davantage leur nature sans jamais voir ou côtoyer l’un d’entre eux.

▬ Je sais ce que ce que votre nature implique… Le rassurai-je avant qu’il reprenne.

Son regard plongé dans le mien, il reprenait pour m’exposer sa crainte vis-à-vis de sa nature et du réconfort qu’il ne pourrait peut-être pas m’apporter en raison de ce qu’il était. Puis il prenait mon visage entre ses mains avant de venir poser son front contre le mien, provoquant aussitôt une once de soulagement au fond de mon être.

▬ Je ne vous demande rien de plus que cela… Lui répondis-je dans un souffle.