Mars 2009. « Si les mots auxquels tu penses sortent de ta bouche, je te tue. » Son large sourire en disait long, non seulement il pensait ces foutus mots mais il n’avait même pas besoin de les dire pour m’agacer. Tranquillement assis sur la chaise de bureau, les deux mains derrière la tête, le large sourire sur ses lèvres, il restait totalement immobile, le regard visé sur moi. J’attrapais le coussin sur le fauteuil avant de lui jeter à la figure. « Quoi ? J’ai rien dit ! » Lâcha-t-il en riant après avoir rattrapé le coussin. « Tu as pensé beaucoup trop fort ! » Répondis-je en râlant, avant de me remettre au rangement de l’incommensurable bordel qui régnait dans le bureau de mon père. Il avait accumulé beaucoup de choses au fil des années, beaucoup trop d’après ma mère qui refusait de mettre un pied dans cette pièce. « Tu admettras quand même que ton récent choix de carrière donne un peu raison à l’histoire insupportable que ta mère te raconte toujours. » Répliquait-il en gardant son foutu sourire. Je soufflais… ok, le fait de choisir des études pour devenir infirmière urgentiste donnerait forcément de la matière à ma mère, un peu trop croyante et un peu trop dévouée à Dieu à mon goût… Ok, en tant qu’humaine dotée et fille de deux dotés, j’étais certainement vouée à faire le bien, mais on n’était quand même pas obligé de toujours tout ramener à ça ? Je pouvais bien choisir de devenir infirmière urgentiste sans que ça ait un rapport avec mon « fabuleux destin », merde ! J’attrapais un autre livre sur l’étagère et un papier s’en échappait, ou plutôt une photo que je ramassais. Le moment immortalisé me provoqua un pincement au cœur, qui se voyait visiblement sur les traits de mon visage puisque Jackson s’était levé pour me rejoindre et passer son bras autour de mon cou avant de m’offrir un baiser sur la tempe. « Il me manque… » lâchais-je sur un ton morne. « Tu sais, tu as le droit de pleurer, personne ne t’en voudra. » Si Jackson m’encourageait, rien n’y changeait, je n’avais toujours pas pleuré la mort de mon père huit mois après sa disparition. . « Et qui va ranger tout ce bordel si je m’écroule… qui va s’occuper de ma mère au trente-sixième dessous… et puis sauver le monde aussi… » Jackson m’offrait un autre baiser en réconfort. Pleurer mon père ne la ramènerait pas, et ne m’aiderait pas à régler tous les problèmes engendrés par sa disparition. Ma mère était incapable de faire face, ma tante n’était d’aucun secours… Mon seul soutien, c’était Jackson.

Février 2013. « Bordel O’Leary, qu’est-ce qui t’est arrivé ?! » Je n’avais aucune explication à fournir. C’était la première fois que j’étais prise d’un tel… vertige ? Je ne comprenais même pas ce qui m’était arrivé. J’avais senti les battements de mon cœur dans chacune de mes artères, chacune de mes veines, et je me sentais appelée par le sang de cet homme allongé sur le brancard… pourquoi ?! Que m’arrivait-il ?!

Novembre 2014. « Cahan ! » Je n’avais aucune envie de l’écouter, d’autant que je savais parfaitement ce qu’il s’apprêtait à me dire. C’était sûrement la dizième fois que cette soif de sang me rendait incontrôlable… la dizième fois que j’attaquais Jackson, et que je manquais de lui faire du mal… J’étais devenue un monstre assoiffé de sang, et je développais un nouveau pouvoir qui m’effrayait encore plus… Il fallait que je fasse quelque chose, je ne pouvais pas rester un danger pour Jackson… « Arrête ! On va trouver une solution… » Je ne voulais lui parler, je ne voulais pas qu’il arrive encore à me convaincre de ne pas partir, il fallait que je le protège de moi, et de lui-même... Cette fois-ci, il n’arriverait pas à me convaincre… « Cahan ! Qu’est-ce que tu fais ?! » Mes affaires… il demandait mais il savait parfaitement, ce n’était pas la première fois, mais ce serait la dernière. « Putain, arrête ! » Il retirait mes affaires du sac et je me battais presque avec lui pour les remettre. « Cahan, on va trouver une solution ! » « Mais tu comprends pas qu’il n’y a pas de solution, bordel ?! Je suis devenue un monstre ! » Il refusait simplement de voir la vérité en face, parce qu’il m’aimait et qu’il savait que sans solution, il allait me perdre. « C’est faux, t’es pas un monstre. » Il ne choisirait jamais la voie raisonnable, il continuerait d’y croire jusqu’à que je le tue… accidentellement… « Bien sûr que si… tu refuses juste de voir la vérité en face. » Il ne me quitterait pas, c’était à moi de le faire. Savoir au plus profond de moi que c’était la seule solution était une chose, accepter de la mettre en œuvre en était une autre. Je regardais l’anneau à mon annulaire gauche, je ne le laisserai pas m’épouser et prendre le moindre risque pour moi, il en avait déjà assez pris. « Arrête… » J’enlevais l’anneau à mon doigt. « Cahan, arrête putain… arrête… » Je lui tendais, mais il refusait de le prendre. « Je te demande pas de faire ça, arrête… » Il ne me le demandait pas, parce qu’il n’était pas assez raisonnable pour ça, il ne voulait pas voir la vérité en face… « Cahan… » Je ne voulais pas le regarder, il arriverait encore à me convaincre de ne pas faire ça, il fallait que je parte… sa main venait prendre mon bras et je m’en défaisais plus violemment que je ne le voulais vraiment. « Arrête de te voiler la face… »

Août 2018. J’avais les yeux rivés sur cette aurore bleue… même après presque quatre ans, il y avait encore des choses pour me rappeler à quel point Jackson me manquait toujours autant. Et cette seule pensée ravivait ma colère et mes yeux glissaient jusqu’à l’aurore rouge. Rien avait changé en quatre ans, j’étais toujours un monstre assoiffé de sang, incapable de se contrôler réellement. Une condition qui m’avait isolée du reste du monde, j’avais perdu le boulot que j’adorais, l’homme que j’aimais toujours après quatre ans, je n’étais capable de me lier à personne… Ma seule compagnie, c’était ma colère…