La nuit, éternelle amie, couvrait Los Angeles de son manteau. J’étais encore au bureau, en train de peaufiner un dossier en vu d’une audience demain matin. Je prenais moins de plaisir à effectuer mon travail, beaucoup moins, si ce n’est qu’il me dégoûtait. J’envisageais de changer de branche avant de me rendre compte que cela ne m’était pas possible pour le moment. Sytry comptait sur moi pour Saul, et je ne me voyais pas lui faire faux bon. C’est la seule mission qui me restait, en plus de celle de rester en vie si je puis dire. Mission qui était devenue bien fade. Je prenais en pitié Saul, et je n’osais imaginer ce qu’il devait ressentir en prison. Il n’était pas assiégé par les émotions, tout comme moi, mais sa position n’était rien enviable à la mienne. Je préférais être ce que je suis, que d’avoir Sytry et les autres sur le dos. Il avait changé, pour la jolie Elena, qui s’était mariée avec un autre. Est-ce que cela était douloureux ? Comment le vivait-il ? Était-il passé à autre chose ? Je n’en savais rien, et quelque part, cela ne me regardait pas. Chaque jour, me donnait l’impression d’être plus humaine, d’être plus vulnérable. Si je suis envahie par l’horreur et la culpabilité, je ressens aussi des choses plus positives. Regardez, ce matin, j’ai attendu qu’une grand-mère arrive à mon niveau pour l’ascenseur. Avant, je ne lui aurais même pas daigné un seul regard, et les portes de l’ascenseur se seraient refermées devant son nez. Hier, je me suis prise à esquisser un sourire en entendant un enfant quémander une glace à sa mère. Cela me fait peur, ce flot de ressentis, ces choses que je ne suis pas censée ressentir. Et quelque part, dans ces moments de répits, cela me fait du bien. Oui, du bien, vous m’avez bien entendu. J’ai l’impression d’être une enfant qui découvre le monde, qui a envie de goûter à tout. Malheureusement, le soir, et surtout la nuit, mes propres démons reviennent, me torturent. C’est ce que je mérite, fort certainement, pour tout ce que j’ai fait. Me donnant parfois l’envie d’en finir, de me foutre carrément en l’air, mais je ne le ferais pas, je ne ferais pas subir ma faiblesse au monde.

Je sortais à une heure tardive, me disant qu’il était temps que je rentre chez moi. C’est à ce moment que deux déchus sortirent de nulle part et me tombèrent dessus au détour d’une ruelle, faisant tomber sac à main, portable et dignité par la même occasion. Je rugissais, intérieurement et extérieurement. Je me défendais comme je pouvais, encaissant les attaques avant d’en tuer un, le plus faible d’entre eux puisque cela ne m’a pas semblé particulièrement difficile. Ce qui n’arrangea pas ma situation, puisque l’autre m’empoigna par ma tignasse pour frapper ma tête contre le mur. Une fois, deux fois, avant de me laisser tomber au sol comme une merde en m’insultant.
J’essayais de me relever, mais il était trop fort, beaucoup trop fort pour moi. Ou ais-je perdu l’habitude. Il me poignarda dans le ventre, en prenant plaisir à tourner le couteau dans la plaie.

Je perdais pied, restant au sol cette fois-ci, tandis qu’il était en train d’examiner mon état, se préparant à m’assener le coup fatal.

Je me tenais là, pensant qu’il allait me donner le coup fatal, me rendant soudainement amère. Amère illusion de pouvoir garder l’équilibre. Amère illusion de penser qu’il serait simple de rester en vie. Il s’était attaqué avec moi, vociférant toute sa haine, ne me donnant aucun répit. Un était mort, mais l’autre en avait encore plus gagné en haine. Je sentais mes blessures se guérir peu à peu, mais le seront-elles à temps ? Non, car il se positionnait pour m’achever. Mais rien ne vint. Un être que je ne pensais pas revoir de sitôt s’était interposé entre mon agresseur et moi-même. Je me traînais pour m’éloigner, sentant ma tête vaciller, ou était-ce le reste du monde qui tournait ? Je ne savais pas trop. Je perdais énormément de sang, il n’avait pas fait les choses à moitié cet abruti. Il n’écoutait pas Castiel, trop aveuglé par sa rage, essayant à chaque fois de revenir jusqu’à moi pour terminer ce qu’il avait commencé. Je regardais le combat, ne pouvant pas y faire grand-chose pour le moment. Castiel prenait le dessus, essayant de raisonner l’autre enfoiré, mais en vain. Il restait buté, le menaçant également de s’en prendre à lui s’il continuait son petit manège. A croire que certains déchus ne sont pas très futés. La lumière de Dieu ne semble pas l’avoir atteint celui-là, en tout cas il n’avait pas la lumière à tous les étages. M’attaquer de dos, ces deux-là, croyez-moi ou non, mais je ne culpabilisais pas. Ils pouvaient crever dans d’atroces souffrances, cela me ferait grand plaisir. Même moi, qui avait un comportement plus que discutable, je n’ai jamais frappé un être dans le dos. Du moins, lors de la première attaque. J’aime les combats propres, c’est de l’art, contrairement à cet assaut de lâche. Il semblait s’en prendre également aux nephelims alors qu’il s’agissait d’être humain. Je comprenais un peu mieux pourquoi il était déchu celui-là.

La réaction du déchu ne mit pas à attendre, il tua son ancien frère avec mon arme. Je ne m’attendais pas à se retournement de situation. Pas du tout. Castiel tuer un autre déchu. Bon pour le coup, il faisait preuve de plus de raisonnement que son défunt confrère. Maintenant, j’allais avoir le droit à son animosité habituel, et franchement je n’étais pas prête pour cela, pas ce soir. Je me relevais lentement, très lentement, en gémissant de douleur, bien que la paie principale fût un peu plus refermée. « Merci » dis-je tout simplement, en m’attendant à ce qu’il réponde que ce n’était pas pour moi, mais pour ce que je représentais. J’en avais consciente, mais en tout cas, pour le coup, mon merci était sincère. J’avais l’impression qu’un train mettait passée dessus. Cela fait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi affaiblie. J’avais perdu le rythme, cela faisait combien de temps que je ne m’étais pas battue ? Longtemps, trop longtemps. Ce genre d’attaque était habituelle avant. Je ne m’attendais pas à me faire attaquer aussi vite après mon changement de nature. Enfin au sens large du terme, puisque je reste toujours un être démoniaque, mon tortionnaire l’a assez répété.

« Enfin, merci pour le monde » Je m’adossais au mur, en fermant les yeux pour reprendre mon souffle. J’avais l’impression que cela m’était une éternité à guérir. C’était vraiment la merde, et le pire dans tout cela, c’était ce trou du cul qui était apparût de nulle part. Le destin a une fâcheuse tendance à l’ironie.

J’étais différente. Je me sentais si vulnérable à ce moment précis. Pire qu’un chaton qui vient de naître. Je souffrais, ma blessure se refermant lentement, trop lentement à mon goût. Est-ce que tout ceci m’avait changé plus profondément que je ne le pensais. Est-ce que je venais plus humaine de semaine en semaine ? C’était impossible, et pourtant c’est ce que je ressentais. Je reprenais difficilement mon souffle, en pensant que la meilleure explication possible était que le déchu avait trafiqué son arme. Je me rattachais à ça. Castiel s’avança vers moi, sans aucune agressivité, et pourtant je fis mine de m’éloigner, ne voulant pas au début qu’il me touche. Il me détestait aussi, pour ce que je suis, ce que j’étais. Il me l’a fait clairement savoir. Moi je ne sais même plus ce que je ressens. J’ai l’impression que je vais imploser. J’ai la curieuse envie de pleurer, pas de tristesse, mais pour me décharger de toutes mes angoisses, de toutes mes peurs. Naviguer en eaux troubles n’avait pris que tout son sens ce soir. Je sentais des larmes couler, une, ou deux, rien de plus, alors qu’à l’intérieur de moi, le torrent ne faisait que de s’accroitre. C’était tentant de s’y noyer.

Je finis par me laisser faire, les yeux fixés sur sa blessure et sur l’énergie qui sortait de ses mains. Je sentais, ou plutôt je constatais dans son regard qu’il était surpris de son propre geste. C’était la première fois qu’il devait guérir une démone, même si de démone je n’ai plus que l’étiquette aujourd’hui. J’aurais peut-être dû demander un nouveau séjour en enfer pour m’endurcir à nouveau. Mais tout comme beaucoup d’autre, je savais qu’il ne fallait pas jouer sur les tenants et les aboutissants de ce sortilège. Je ne pouvais pas le contrer, ni en jouer, je devais subir et fermer ma charmante bouche.
Je constatais que j’étais guérie, enfin ce n’était pas le cas de mon chemisier Versace qui était bon pour la poubelle. Mais j’étais en vie, et l’équilibre était préservé par ce simple fait. Je pouvais encore lui dire merci, mais cela serait grotesque. Même pour moi, c’est trop. Je me contentais donc de garder le silence sans savoir quoi dire. Avant de me décider à quitter ce mur qui semblait être mon nouveau meilleur ami pour aller ramasser mon sac à main et le reste de mes affaires.

« Même pas une remarque désobligeante, rien ? Tu es moins bavard que la dernière fois » dernière fois où je lui avais demandé de l’aide, mais pas de manière subtil. Dernière fois où il m’avait envoyé sur les roses, et où j’étais rentrée chez moi pour me morfondre, hantée par toute cette merde, avant de recevoir la visite de l’autre con de Jace. Dernière fois que je préférais oublier pour le coup. Comme ce soir. Je n’avais pas pour habitude d’être une victime, et pendant un moment, j’avais ressenti la peur qu’avaient ressenties mes proies.

Il était sous le choc. Ne prêtant que peu attention à mes paroles. J’en concluais que c’était la première fois qu’il abattait un frère. Ou du moins, que cela faisait longtemps qu’il n’avait pas agit ainsi. Je tentais de lui proposer mon aide pour les deux corps. J’étais capable de les porter, malgré cette apparente fragilité. Mais il me devança, en les apportant pour disparaître dans la nuit sans un autre mot. Je ne savais pas s’il allait revenir, ni même si j’avais envie qu’il revienne. Il me faisait penser à Uriel sur certains points, et pourtant sur d’autres, ils sont complétements différents. J’attendais là, essayant de mettre un peu d’ordre dans mes pensées, dans ma tenue. Mais en vain. Je me sentais vaseuse, aussi en forme moralement qu’un suicidé. Je regardais mon téléphone qui n’avait pas supporté le choc. Je le remettais machinalement dans mon sac lorsque Castiel réapparut devant moi. Je me sentais soulagée de le voir à nouveau, et en même temps j’avais l’impression qu’on était simplement deux cons dans une ruelle. Je ne savais pas quoi lui dire pour le rassurer. Ce n’était pas par manque d’idée, mais dans chaque cas, je craignais d’être maladroite, blessante ou je ne sais quoi.

« Ils étaient dangereux et borderline. Ta réaction était la bonne. Ils auraient pu s’en prendre à un être humain. Ton devoir est de protéger les humains. Ce que tu as fait ce soir » Je m’approchais de lui, cherchant son regard, me reconnaissant en lui à cet instant présent. « Je sais… » dis-je simplement en esquissant un pâle sourire. Je savais ce qu’il vivait en termes d’émotion, ou en tout cas je devinais ce qui était en train de le tirailler.

« Je vais te raccompagner, tu en as besoin je crois, où es-tu garé ? » J’allais le « porter » un peu, le temps qu’il reprenne un peu plus ses esprits, le temps qu’il mette un peu d’ordre dans toute cette merde. « Où sont tes clefs ? » J’allais le reconduire gentiment chez lui, s’il acceptait. Il suffisait qu’il me donne ses clés de voiture. A ce moment-là, je l’aurais suivi, jusqu’à prendre place devant le volant. J’aurais certainement gardé le silence tous le long de la route, me contentant de l’écouter pour qu’il puisse me guider dans les rues de Los angeles. Cela m’aura semblé une éternité, mais j’aurais pris un certain plaisir à profiter de nos silences. J’étais un peu plus en état mentalement pour prendre les rennes à ce moment précis, et je lui devais bien ça. Une fois garée devant chez lui, je n’aurais fait aucune remarque, me contentant de lui rendre ses clefs. « Puis-je emprunter ton téléphone pour appeler un taxi ? le mien n’a pas survécu » Je ne demandais pas à rentrer pour téléphoner, je souhaitais juste son téléphone portable qui devait être en meilleur état que le mien. J’avais prévu d’attendre sagement dehors, profitant de la fraicheur de la nuit pour me revigorer.

Je ne bronchais pas pendant toute la route. Me contentent de conduire, les rues devenant de plus en plus familières. Il était enfermé dans son silence, tout comme moi. J’étais perdue. Je ne m’attendais pas à ce qu’il agisse ainsi avec moi. Mettait-il de côté ce que j’étais vraiment l’espace d’un instant. Non, il savait, il n’oublierait pas. Son regard en disant long sur ce qu’il ressentait à mon égard lors de notre dernière rencontre. Je ravalais ma salive plusieurs fois, trouvant cette situation gênante et déstabilisante. Une fois arrivée dans ma rue, il semblerait que les battements de mon cœur soient revenus à la normal. Je ne m’étais même pas rendu compte de ce pic de stress. Depuis quand ais-je un pic de stress d’ailleurs ? Il fallait faire quelque chose, je ne pouvais pas rester comme ça, et me sentir éternellement aussi vulnérable. Je ressentais la peur, une émotion qui m’était inconnue depuis toujours […] ou du moins, une émotion que je ne connaissais plus depuis ma damnation. Que penserait Kobal de tout ceci ? Heureusement il n’était pas en ville et encore moins dans ma tête. Il fallait que j’apprenne à faire un peu plus semblant. Chose qui serait plus difficile avec Sytry puisqu’il avait la capacité de lire en moi comme dans un livre ouvert. J’en avais déjà beaucoup dit lors de notre dernière rencontre. Trop dit ? Oui. Je suis le genre de personne qui pense qu’on parle toujours trop.

Je me garais devant, en me retournant vers lui. Ça pourrait faire l’objet d’une bonne blague, un déchu et une démone dans une voiture. Il me regarda. Je me sentais devenir cramoisi, pas de gêne émotionnelle mais de honte. Oui j’avais honte. Je ne me sentais pas à ma place, à ma place nulle part. et je ne pouvais rien y faire, juste subir et rester en vie.

« Tu veux entrer ? » demandais-je en me disant qu’il risquait fortement de m’envoyer chier. Je faisais ça par gentillesse, uniquement pour le remercier. Oui je sais, c’est une vraie blague. Victime des états d’âme de Jace. Et oui, je sais que c’est aussi très restricteur de lui mettre ça sur le dos, mais ça fait du bien. « J’ai des bières, et du whisky. Je dois aussi avoir de l’eau, quelque part » dis-je en esquissant un sourire. Mon frigo n’était pas celui d’une jeune femme d’aujourd’hui respectable. Non, il y avait que de l’alcool, et des fruits, car je prenais plaisir à en manger. Manger n’étant pas un réel besoin pour moi, vous en conviendrez. « Personne ne risque de débarquer » j’ajoutais cela uniquement pour le rassurer. Je doute que de tomber avec l’un de mes chefs soit une bonne idée, pour lui et pour moi soi dit en passant.