J'avais retardé cette entrevue car il m'avait fallu du temps pour confirmer certaines choses, mais aussi à cause des missions urgentes que j'avais du mener. Pourtant, je me devais de parler à Aniel. Elle avait été celle qui avait détruit Lilith il y a un millénaire. Elle était celle qui pouvait au mieux répondre à mes interrogations. Dieu lui même ne pouvait pas combler certaines lacunes, particulièrement lorsqu'il s'agissait de l'enfer et de ses dirigeants. C'était un plan sur lequel il n'avait pas de pouvoirs. Je me trouvais dans l'église abandonnée, assis sur l'un des bancs face à l'autel alors que je fermais les yeux appelant à moi ma sœur.

« Merci d'être venue, Aniel. » Soufflais-je en sentant sa présence alors que j'ouvrais de nouveau les yeux.

« Les évènements actuels m'ont poussé à forcer cette réunion. Nous devons parler. J'ai bien peur que de sombres desseins nous aient échappés. Cette... maladie qui semble se répandre de manière non naturelle n'en est qu'une preuve supplémentaire. »

Bien des choses avaient eu lieu depuis ma dernière entrevue avec Ezechiel. Si nous nous étions croisés lors de la destruction des démons corrupteurs, nous n'avions pas eu le temps de discuter, rappelés tous deux par nos obligations respectives. Nous aurions pourtant eu nombre de sujets à aborder ensemble. Alors lorsque j'entendais son appel, qui m'était particulièrement adressé, j'abandonnais un temps mes tentatives de comprendre d'où venait ce nouveau mal qui frappait l'humanité.

Lorsque je me matérialisais dans l'église abandonnée, je retrouvais Ezechiel assis sur un banc, les yeux fermés. Ils s'ouvraient aussitôt sur moi, et je lui adressais un léger signe de tête en guise de salutation et de respect.

« Je t'en prie. » Répondis-je à ses remerciements, avant qu'il n'enchaîne sur les raisons de cet appel. « Je partage tes inquiétudes au sujet de cet étrange mal. Quant aux sombres desseins, il y en quelques uns qui sont arrivés à ma connaissance, et dont je dois te faire part. »

Je n'avais pas encore révélé à qui que ce soit mon incapacité à détruire Sytry lors de notre dernière rencontre, et si Notre Père le savait, il était désormais important qu'Ezechiel le sache aussi.

Les mots de ma sœur annonçaient des auspices plus sombres encore que ceux que je souhaitait lui rapporter. Nous étions tous deux porteurs de mauvaises nouvelles semblait-il et je la toisait un instant, avant de convenir qu'il me fallait parler le premier.

« Je n'ai pas de preuves. Seulement des soupçons confirmés par des démons que j'ai pu... interroger. »

Les mots étaient bien loin de ce que j'avais infligé à ces abominations pour avoir des réponses, mais ils n'avaient pas grande importance. Pas avec ces créatures.

« J'ai des raisons de croire que ce faisceau de feu et la pluie de cendre qui se sont abattus sur la ville il y a plus d'une année sont liés au néant. »

Les démons avaient refusé de parler même sous la torture. Mais par leur silence ils n'avaient fait que confirmer mon intuition, ils se taisaient par loyauté. Ils se taisaient pour cacher la vérité.

« Aniel, tu as déjà affronté les lieutenants de Lucifer. Crois-tu qu'ils iraient jusqu’à ouvrir le néant pour... Ramener Lilith à la vie ? »

Ezechiel m'avouait qu'il n'avait que des soupçons suite aux interrogatoires qu'il avait pu mener, avant de me les révéler. J'écoutais avec attention les hypothèses qu'il avançait, réfléchissant par la même au sujet que nous abordions. Ezechiel faisait appel à mon expérience vis-à-vs des lieutenants, me posant une question qui méritait une sérieuse réflexion. Je repensais alors à mes deux dernières rencontres avec Sytry, et un détail venait me troubler.

« Ma route a croisé celle de Sytry à plusieurs reprises ces derniers temps, et quelque chose a changé entre deux d'entre elles. Lors de notre première rencontre, le simple fait que je prononce le nom de Lilith le mettait hors de lui, c'est un affront qui l'insupportait encore après un millénaire. Il jurait ma perte, menaçait mes protégés et ma légion. Il en faisait une affaire personnelle, désireux de me faire payer le meurtre de sa sœur. Mais lors de notre dernière rencontre, aucune de mes pensées à ce sujet ne l'a dérangé, aucune n'a réveillé ce déferlement de menaces. Le sujet ne semblait plus le déranger. C'est une anomalie que je n'expliquais pas... » Lui dis-je en suivant le fil de mes pensées. « Mais ton hypothèse pourrait l'expliquer. Ils ne reculeraient devant rien pour ramener Lilith, leur loyauté les uns envers les autres est aussi forte que celle que nous avons envers Notre Père. S'ils ont vraiment extirpé Lilith du Néant comme tu le penses, alors ils sont de nouveau au complet. »

Alors j'avais vu juste. Ce n'était plus que suppositions à présent. Pas avec la réponse apportée par Aniel.

« Alors ce n'est plus une supposition. C'est une certitude. Ils l'ont ramenée, Aniel. Ce n'est pas que Sytry. Les démons que j'ai interrogé, ont refusé de parler peut importe ce que je leur infligeait. Ils ont préféré souffrir et mourir, plutôt que de répondre à mes questions concernant le faisceau de feu. Ils l'a protégeaient. »

Je me levait alors du banc et avançait jusqu'à l'autel pour chercher dans mes pensées quelque chose, une réponse à cette situation. Mais père lui même n'avait pas prévu qu'on puisse violer ainsi les règles inéluctable du néant. La chose aurait du être impossible...

« Réunis... que sont-ils capables de faire ? Que sait-tu de ce Sytry ? Tu dis avoir croisé son chemin plusieurs fois ? As-tu appris des choses ? » Mes questions étaient valides et importante, mais je me souvenais alors que ma soeur aussi avait des informations à me communiquer et je me taisais, le temps de réfléchir à la suite.

« Tu voulais m'informer d'évènements également. Est-ce que cela peut attendre ? »

Mes dires confortaient Ezechiel dans ses suppositions, et je ne pouvais lui donner tort. Lucifer et ses démons avaient transgressé les barrières du Néant, et en avaient extirpé l'âme de Lilith. Cette révélation seule n'avait déjà rien d'une bonne nouvelle, mais les informations que j'avais en ma possession ne faisaient qu'empirer la situation. Alors que je réfléchissais intérieurement aux conséquences d'un tel retour, Ezechiel m'interrogeait aux sujets des lieutenants. Il laissait alors ses questions en suspens, se rappelant que j'avais moi aussi des informations à lui révéler, espérant qu'elles pouvaient attendre.

« Elles n'auront pas à attendre. Elles répondent en partie à tes questions, et à d'autres que tu ne m'as pas encore posées. » Lui dis-je avant de marquer une courte pause. Je prenais une inspiration plus profonde afin d'enchaîner plus rapidement. « Il y a un millénaire, je pouvais les détruire tous les trois. Sytry ne devait son salut qu'à Kobal et au fait qu'il s'était montré raisonnable en ne s'engageant pas dans un combat qu'il savait perdu d'avance. Après un millénaire passé dans le néant, la puissance de Lilith est certainement toujours la même qu'à cette époque. Je ne peux juger pour Kobal, je ne l'ai jamais recroisé après ce jour, mais s'il a gagné autant de puissance de Sytry, nos chances s'amenuisent. Ma dernière rencontre avec Sytry s'est soldée par un nouvel échec. »

Les mots d'Aniel m’interpelèrent mais je restait pourtant impassible le temps d'avoir de plus amples informations. Elle avait raison, ses informations complétaient les miennes, pourtant d'autres questions m'étaient venues alors même qu'elle finissait de parler.

Les mots de ma sœur étaient alarmants, nos informations combinés semblaient dépeindre un futur rempli de dangers pour la race humaine. Alors qu'une épidémie sévissait, devaient-ils craindre les trois lieutenants ? Pire encore ? Je connaissait mon rôle, ma mission, mais je manquais d'informations cela ne faisait aucun doute.

« Qu'entends-tu par échec ? A-t-il pu fuir avant que tu ne lui assène le coup de grâce ? »

L'interrogeais-je, conscient qu'il nous fallait discuter plus en détail de nos découvertes. Il me semblait évident au vue de la manière dont se recoupait nos informations récoltées, que partager nos connaissances était indispensable. Dieu savait tout, mais ce qui n'était que théories devenait à présent plus réel et je réalisait que j'aurais probablement du m'entretenir avec Aniel il y a bien longtemps. Avant de torturer ces démons peut-être, ou en lieu et place, même.

Tandis que j'exposais mes informations à Ezechiel et qu'il me demandait alors des précisions, je me remémorais ma dernière rencontre avec Sytry. Si je n'avais aucun doute quant à ma défaite face au premier lieutenant de Lucifer, je me devais de lui donner la bonne importance. Fermant les yeux quelques secondes, je me repassais le combat contre Sytry, jaugeant de nouveau sa puissance en comparaison à la mienne. Il me fallait être le plus précise possible. L'information sûre et bien jaugée, j'ouvrais de nouveau les yeux, retrouvant le regard d'Ezechiel.

« Non. Il n'a plus besoin de me fuir, sa puissance a dépassé la mienne. » Révélais-je. « Il n'a toujours pas la capacité de me détruire, mais mon Lux Dei ne peut plus le détruire. » Ma certitude sur le fait que Sytry ne pouvait toujours pas me détruire ne reposait pas simplement sur ce que j'avais jaugé de sa puissance, j'étais également certaine que s'il avait été en capacité de le faire, il n'aurait pas hésité une seule seconde. « Il ne reste désormais qu'Haiaiel et toi pour le détruire. Et je pense qu'il est nécessaire de trouver Kobal et Lilith avant qu'ils en arrivent eux aussi à une telle puissance. »

Ma supposition avait été anéantie quand Aniel avait répondu à ma question. Et ses mots étaient plus alarmant encore qu'ils ne l'étaient il y a quelques instants. Si le Lux Dei de ma sœur n'avait pas suffit à détruire cette abomination, le danger était réel. « Malheureusement, la chose n'a jamais été une priorité de Père... » Soufflais-je, conscient que Père ne nous avait jamais donné un tel ordre. « Et c'est pour une bonne raison, je n'en doute pas. Probablement celle qui a fait que nous en sommes là aujourd'hui. Si puissants soit-ils... ces choses ne font pas à elles seules l'armée de Lucifer. » Si détruire ces monstres n'arrêtait pas l'apocalypse, comme l'avait prouvé la mort de Lilith, ils ne devaient pas être la priorité. Certes les tuer était un devoir si nous les combattions. Mais, il m'apparaissait évident que Dieu n'avait pas ordonné la chose pour de bonnes raisons. « Nous ne pouvons pas perdre de temps à chercher ces créatures. Pas tant que Père ne nous en donnes pas l'ordre. Nos forces doivent être un maximum concentrées sur les signes d'apocalypse, sur la mission. Tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'Haiaiel ou de moi. » Je levais alors le regard vers le vitrail brisé qui laissait apparaitre le ciel. « Ces aurores sont le signe d'un équilibre rétabli. Bientôt Lucifer tentera probablement de briser les autres sceaux. Il nous faut trouver comment. As-tu réuni des informations concernant les autres sceaux ? Concernant ceux à venir ? Sytry a-t-il dit quoi que se soit qui puisse nous servir ou expliquer la situation actuelle ? »

Face à ma proposition, Ezechiel me rappelait que détruire les lieutenants de notre frère déchu n'avait jamais été une priorité de Notre Père. Je partageais bien évidemment son avis quant aux raisons pour lesquelles Père ne nous avait jamais donné un tel ordre, et jamais je ne me permettrai de les remettre en question. Mais ma défaite face à Sytry m'avait forcé à réfléchir à cette éventualité. Que se passerait-il si nous ne pouvions plus les détruire ? J'adressais la question à Notre Père, mais aucune réponse ne vint. Alors je me concentrais de nouveau sur mon frère et sur ses questions.

« Il a voulu me mettre en garde sur le futur, il a prétendu que nous devrions cesser de lutter inutilement, parce qu'ils avaient déjà gagné. Il y avait une certaine assurance dans son attitude. Il n'a pas parlé du prochain sceau, mais je n'ai pas analysé toutes ses paroles. » Lui dis-je, alors que je réfléchissais à ma dernière entrevue avec Sytry. « Peut-être a-t-il dit quelque chose d'important, quelque chose que je n'ai pas encore compris parce que je n'y ai pas assez réfléchi. »

Il fallait que je me remémore tout ce qu'il s'était passé au cimetière, tout ce que Sytry avait pu me dire, j'avais peut-être raté quelque chose.

Ma sœur n'avait rien répondu à mes paroles sur les lieutenants et pourtant je savais que nous partagions la même pensée. Parfois, il n'y avait pas besoin de mots supplémentaires pour nous. Seulement les souhaits de Père, la logique de ses ordres ou au contraire, de ce qu'il taisait. Alors j'avais interrogé ma sœur sur son entrevue avec le démon. Tentant d'en apprendre plus sur les sceaux et cette apocalypse. « Il serait probablement difficile d'analyser les paroles d'un démon. Du moins... seule. Songes à votre dernière rencontre, peut-être qu'a nous deux nous pourrions comprendre. Souviens toi au mieux de ses paroles. Peut-être a-t-il dit des choses qu'il n'aurait pas dû. Son assurance déplacée pourrait les perdre. » Je n'avais jamais croisé la route des lieutenants, mais ils ne pouvaient pas être infaillibles, n'est-ce pas ? Ils ne pouvaient pas tout calculer parfaitement ? « Penses-tu qu'il ai pu laisser échapper des informations involontairement ? » Ma sœur serait plus à même de juger et quand bien même, nous allions vérifier. Sans ordre divin actuel et sans mission précise je pouvait prendre ce temps là, il s'agissait après tout de l'apocalypse.

Nous ne serions certainement pas trop de deux pour analyser les paroles de Sytry. Je fermais les yeux tandis que je me remémorais notre dernière entrevue. Ce que nous avions pu nous dire avant que mon Lux Dei ait été insuffisant à le détruire n'était que des provocations et elles ne revêtaient pas de réelle importance. Mais ses dernières paroles pouvaient être davantage.

« Je ne suis pas certaine que toutes ses paroles aient un sens caché, mais il a évoqué le fait que nous nous pensions meilleurs, supérieurs : les êtres célestes glorieux, a-t-il dit. Que Notre Père est le plus arrogant d'entre nous, mais que Lucifer l'a vu et l'a défié. Puis il a parlé d'une nouvelle ère, dans laquelle notre puissance et notre soit disant bonté n'auraient plus lieu d'être. Que nous étions impuissants face à Lucifer. Il a dit « Abdiquez ou à chaque coup que vous tenterez, nous répondrons deux fois, trois fois plus fort. » Peut-être parlait-il de leur vengeance suite à la mort des corrupteurs ? Si la maladie qui se répand est bien de leur fait, c'est donc pour eux une vengeance... »

Ma sœur semblait réfléchir et tenter de se remémorer au mieux les paroles du démon. Une chose plus aisée pour des être comme nous, pourtant l'entreprise n'allait pas être facile. Se souvenir n'était que la première étape. Fallait-il encore comprendre les paroles du démon, ou... qu'il y ai quelque chose à comprendre. Le début de ce qu'elle rapportait était très générique, des choses que l'ont entendait trop souvent et sans aucune augure précise. Mais elle avait détaché quelques paroles du reste de ce qu'il avait dit. Abdiquez ou à chaque coup que vous tenterez, nous répondrons deux fois, trois fois plus fort. Je répétais la chose pour moi même plusieurs fois, le regard absent, puis me fixait de nouveau sur ma sœur.

« Je ne voit que des menaces. Aucun détail, aucune faille... N'aurait-il rien laisser échapper ? Je ne peut pas croire qu'ils soient aussi... » Je me taisais dans mes paroles et fermait les yeux, conscient d'une vérité qui m'apparaissait alors même que j'allais déprécier ce monstre.

« Mais n'est-ce pas là tout le problème ? Des abominations, voila ce qu'ils sont pour nous. Est-ce que nous les sous-estimons, Aniel ? Est-il assez avisé pour te parler sans laisser fuiter la moindre information ? »

Ce que je me remémorais de notre conversation n'avait finalement que peu d'intérêt, semble-t-il. Lors de nos affrontements, Sytry avait souvent usé de menaces en tout genre, et s'il en avait mises certaines à exécution concernant mes anges et mes protégées, d'autres restaient des menaces. Comme celles de notre dernière rencontre, bien qu'elles s'avéraient prendre un peu plus de sens avec cette maladie. Tout comme moi, Ezechiel n'y voyait que des menaces, rien de concret dans ses dires.

Mais Ezechiel se taisait soudainement, laissant une phrase inachevé avant de reprendre. Avions-nous sous-estimé nos ennemis ? Si je m'étais refusée à le penser avant ma dernière confrontation avec Sytry, je ne pouvais m'empêcher de l'imaginer désormais.

« Ils ont gagné en puissance, ils parviennent à ouvrir les sceaux... ils ne sont plus les mêmes qu'au début de notre guerre, c'est indéniable. Sytry est arrogant et persuadé de leur victoire, mais a-t-il vraiment tort de croire qu'ils peuvent gagner ? »

Alors que les paroles de ma sœur reflétaient les miennes, quelque chose me frappa. Une réalisation, une que j'aurais aimé ne pas connaître.

« Père est intervenu. Nous le savons tous. Le monde entier l'a ressentit, les mondes, les plans l'ont supporté... Voila pourquoi il reste silencieux ce soir. Nous avons déjà sa réponse. »

S'il avait manqué à sa propre règle et tant risqué... ce n'était pas pour Haiaiel. Pas seulement. Jamais il n'aurait prit un tel risque pour un seul être, nous le savions tous. Mais si je savais ce que son intervention signifiais... ou ce que la mort d'Haiaiel aurait engendré... je m'étais refusé à accepter le tout. La vérité dans son ensemble.

« Ils ont des chances de victoire... » Soufflais-je avec horreur.

« Père le sais. Voila pourquoi il a accepté ma proposition d'attaque concernant les corrupteurs. Voila pourquoi nos armées sont moins prévisibles. Plus offensives dans leur missions qu'elles ne l'ont jamais été... » Je prenais un instant pour réaliser davantage et murmurais presque. « Ses choix, ses ordres... ils sont de plus en plus audacieux... C'est plus que cela, n'est-ce pas ? Nous sommes en train de perdre... »

Mes souvenirs sur ma conversation avec Sytry ne nous apportaient finalement rien. Si j'avais terminé mon discours par une interrogation, je n'étais pas vraiment certaine qu'elle était nécessaire. Il n'y avait pas que de l'arrogance et de la détermination dans le discours de Sytry, il y avait de la lucidité et de la véracité. Mes pensées trouvaient alors écho en celles d'Ezechiel, alors qu'il me les exposait en reprenant la parole.
Mon frère avait raison. L'intervention de Père n'était pas anodine, elle était au contraire révélatrice... Ezechiel et moi le comprenions aujourd'hui, et comme s'il cherchait à nous empêcher de le nier désormais, mon frère y mettait les mots : nos ennemis avaient des chances de victoire. Il persistait dans son discours, peut-être avait-il besoin de l'exprimer tout haut, quand j'avais préféré le garder au fond de moi après ma défaite contre Sytry.

« Oui. » Dis-je avant de reprendre un souffle qui ne m'était pourtant pas nécessaire. « Nous sommes en train de perdre. »

Mais que pouvions-nous faire pour endiguer le phénomène ? Quelles étaient nos options en dehors des ordres de notre Créateur ? Je levais les yeux au ciel, espérant qu'Il adresserait une réponse à cette pensée, mais rien. « Est-ce que c'est à nous de trouver la solution, dans ce cas ? » Demandais-je plus à notre Père qu'à mon frère.

La réalisation qui m'avait frappé à cet instant était dérangeante, car je refusait de voir l'humanité détruite par Lucifer. Il m'était impossible d'imaginer perdre face à ses plans diaboliques, pourtant... nous perdions déjà. Mes paroles étaient probablement inutiles, mais je n'avais pas su les taire comme si je n'était pas préparé à penser ce genre de choses. Et alors qu'Aniel confirmait mes propos je réfléchissais l'esprit et le regard perdu dans le vide, tandis que faisait face à une situation que je n'avais jamais affronté ou envisagé. Ma sœur avait pourtant ré-accaparé mon attention lorsqu'elle avait posé une question. « Non. Il nous faut remplir nos missions comme nous l'avons toujours fait et attendre les prochains ordres de père. » Soufflais-je alors que comme elle, je levais à mon tour les yeux vers le toit de la bâtisse. « S'il ne répond pas, c'est que l'inaction est pour le moment plus bénéfique que l'action. J'ai foi en lui, en notre armée. Père saura quand intervenir, qu'il s'agisse de cette maladie, ou de Lucifer et de ses plans sur leur plus grande échelle. » Je marchait quelques pas, songeant à nos missions premières et à nos protégés. « Le sort de l'humanité est en jeu. Il en est son plus grand protecteur. Lucifer en est témoin. Alors... il nous faut patienter et attendre ses ordres, ils viendront lorsque ce sera juste. Lorsqu'il sera temps. »

Remplir nos missions, comme nous l'avions toujours fait au cours des millénaires écoulés. Ezechiel avait raison, je n'en doutais pas une seule seconde, tout comme je ne doutais pas de Père. Je l'interrogeais parce que j'étais dans l'attente de Sa solution. Mais comme le soulignait Ezechiel, ce n'était pas à nous de la trouver, nous devions juste demeurer actifs et efficaces sur nos missions respectives, et patienter jusqu'aux prochains ordres.

« Alors, menons à bien nos missions en attendant qu'Il décide ce qu'il est préférable ou non. » Répondis-je à mon frère, avant de marquer une légère pause.

« As-tu d'autres informations au sujet des tiennes qui peuvent être utiles à notre combat ? » Nous nous devions de communiquer autant que possible, et j'avais quelques informations potentiellement importantes pour Ezechiel. Je lui laissais néanmoins la priorité.

Ma sœur confirmait mes dires et je les appuyaient d'un signe de tête entendu, restant silencieux sur ce sujet à présent clos. Aniel avait alors posé une question qui s'imbriquait parfaitement dans le fil de notre conversation, mais qui m'avait forcé à la réflexion. Avais-je d'autres informations utiles ? Ce que nous avions dit plus tôt prouvait que des informations nous échappaient et pas seulement avec les humains. Il me fallait alors faire preuve de réflexion en plus de faire appel à mes souvenirs.

« Je ne penses pas avoir d'informations, pour ma part. Ou alors elles m'échappent encore. » L'interrogeais-je, ne sachant pas si elle avais été respectueuse avant de me fausser compagnie, ou si elle avait elle même d'autres informations à me communiquer.

« En as-tu ? » Je l'interrogeais du regard alors que j'ajoutais : « Il me faut réfléchir un instant à ce que j'aurais pu manquer. »

Je n'étais pas certain d'avoir manqué une quelconque information, mais y réfléchir ne pouvait pas être un mal. Je me repassait mes plus récentes découvertes en tête, mais l'épidémie et l'état du monde aujourd'hui prouvait qu'elles étaient avérées. Et il me semblait avoir confié la plus inquiétante et plus importante au début de notre rencontre.

Si l'information de mon échec face à Sytry ayant déjà occupée notre conversation était la plus importante, il me restait d'autres sujets à aborder avec mon frère. Probablement moins urgents, mais qui sait quand nous pourrions de nouveau trouver le temps de discuter, Ezechiel et moi. Je laissais l'honneur à mon frère, mais se laissant le temps d'une réflexion plus poussée, il me rendait la parole. Puisque j'avais l'ange de la justice face à moi, il me paraissait important de commencer par parler de l'étrange comportement des déchus.

« Plusieurs anges de ma légion m'ont rapporté un fait qui me semble inquiétant, et j'ai moi-même pu le constater avec mes protégés. De plus en plus de déchus s'en prennent aux nephelims et aux sorciers pactisés. Nous avons accru notre vigilance pour les concernés, mais ça me paraît bien trop réguliers pour des actes isolés, d'autant que cela semble vraiment cibler ces deux catégories d'humains. En étais-tu informé, ou as-tu des échos à ce sujet ? »

Je préférais marquer une pause avant la prochaine information, qui concernait aussi des déchus, afin d'avoir l'avis d'Ezechiel et peut-être des informations supplémentaires à ce sujet.

Ma sœur semblait posséder d'autres informations inquiétantes et lorsqu'elle les révélaient, mon esprit s'était focalisé sur un moment, une rencontre qui avait presque semblé anodin lorsqu'il s'était produit. Je n'étais pas la pour poser des questions aux humains, ou pour contredire ou juger comme mensonges ce qu'avais dit la jeune femme. Mais les mots d'Aniel, ce qu'elle avait observé semblait trop proche de ce dont j'avais été témoin pour qu'il s'agisse d'une coïncidence. « Je n'étais pas au courant, non. » Il n'était nul besoin de souligner que les déchus que je rencontrait, moi ou mes soldats étaient plus souvent pourchassés que chasseurs. C'était là tout le but de ma mission. Pourtant, je n'avais pas terminé de répondre et j'avais reprit la parole aussitôt. « Mais je pense en avoir été témoin, sans avoir eu de point de comparaison pour saisir la chose. » Je songeais à l'humaine, sorcière, nephelim ? La question ne s'était pas posée à l'époque car mon devoir était de la protéger, quoi qu'en disaient ces déchus. Mais elle devait être de ces victimes dont parlait Aniel. « J'ai cru à une attaque arbitraire. J'ignorais que d'autres étaient attaqués. Mais... à présent je voit plus clair dans ces souvenirs. Ils étaient plusieurs. Organisés. Plusieurs déchus contre une humaine... C'était une exécution. » Du moins, ça devait l'être avant mon intervention. « Ils seraient regroupés ? Dirigés par quelqu'un ? Que sait-tu à ce sujet ? »

Ezechiel n'avait pas été confronté à l'une de ces attaques, du moins il n'en avait pas identifié le but lorsqu'elle s'était produite, d'après ses précisions. La première attaque que j'avais recensée était peut-être la plus importante, car elle concernait un déchu particulier, autrefois sous les ordres de Lucifer quand celui-ci était encore des nôtres. Et peut-être que son identité répondait en partie aux questions d'Ezechiel.

« La première attaque que j'ai recensée était à l'encontre d'une de mes protégées. Il a fui lors de cette altercation, mais je l'ai reconnu. Il s'agissait d'Honah. »

Son nom ne pouvait être inconnu à Ezechiel, puisqu'il s'agissait du déchu qui s'était attaqué aux nephelims sans l'ordre de Père, dans le but de priver Lucifer des créatures qu'il avait créées.

« Je l'ai traqué et tué. Lors de cette confrontation, j'ai cru comprendre qu'il avait fait des adeptes. Mais je n'ai malheureusement aucune information supplémentaire à ce sujet. Les quelques déchus que nous avons arrêtés n'ont pas été plus bavards. »

Lorsque Aniel mentionnait Honah, toutes les informations trouvaient sens dans mon esprit. Les interrogations n'avaient plus lieu d'être. Encore moins alors qu'elle m'expliquait ce qu'elle avait soutiré à Honah avant de le détruire.

« Des adeptes... Des déchus. Des traitres. Et ils trahissent encore la parole divine en prenant des décisions qui ne leurs appartiennent pas. » Tonnais-je, conscient que ma mission première avait trouvé une nouvelle voie.

« Ils sont de ma responsabilité. Je déploierais une portion des anges de la justice pour traquer ces déchus en particulier. Mais, j'aurais besoin d'aide, ma sœur. Nous devons protéger les nephelims et les sorciers. Plus que nous ne l'avons jamais fait. Peut-tu t'en charger ? »

Si jusque là nous n'avions pas pu faire autre chose que transmettre les informations et parler, à présent il en était autrement. Nous avions des missions, des actions à réaliser. Mais je devais m'assurer d'une dernière chose avant. « Avais-tu autre chose à me confier ? »

L'information était cruciale, et Ezechiel réagissait sans attendre. La traîtrise de nos frères semblait l'affecter davantage que je ne l'étais. Peut-être était-ce en raison de la mission première des anges de la Justice. La traîtrise de ce que nous avions appelés nos frères auparavant n'était que grandissante, tandis qu'ils se donnaient le droit de prendre des décisions qui n'incombaient qu'à notre Père.

« Ma légion s'occupera de protéger les nephelims et les sorciers. » Assurais-je à mon frère.

Il était important que la légion d'Ezechiel puisse se concentrer sur cet objectif, aussi était-il normal que la mienne prenne le relai pour les aider à protéger ceux qui en avaient besoin.

Ezechiel s'enquérait d'éventuelles d'autres informations, et d'un signe de tête, je lui répondais, joignant tout de même quelques mots.

« Rien de plus. Nous devrions nous revoir lorsque ta légion aura avancé sur le sujet, à moins que Père ne nous donne d'autres d'ordres d'ici là. »

Les évènements nous avaient menés à cette discussion, à des questions, des prières. Et nous avions eu des réponses, car même dans son silence, Dieu nous guidait toujours. Il était à présent de notre devoir de veiller à régler la situation aborder par ma sœur. Celle-ci était en notre pouvoir, et les ordres étaient toujours clairs concernant les déchus, les humains. J'avais prit mes responsabilités pour les premiers, et demandais l'aide de ma sœur pour les seconds. Je ne la remerciais pas, il n'était pas question de lui faire cet affront, un simple signe de tête, une révérence, une preuve de mon respect suffirait. Car elle remplissait son devoir, sa mission.

« Parfait. Tu as raison, il me semble urgent que nous nous attelions à nos tâches respectives. A bientôt, ma sœur... » Soufflais-je alors que je me téléportait hors de l'église, la laissant faire de même.