Elle est là, au milieu des corps endormis, s’imprégnant des lieux dans un silence quasi-religieux. Elle ne savait pas pourquoi elle errait ainsi, et surtout pourquoi ses pas l’avaient mené jusqu’ici. Était-elle venue se recueillir sur ce qui restait de l’ancienne Caym ? Ou était-ce un nouveau moyen pour se torturer, pour s’affliger cette amertume et cette souffrance. Ce choix, cette simple décision, ce sacrifice pour sa communauté, elle ne le regrettait en rien, mais à l’époque elle ne pensait pas que cela prendrait autant de proportions. Elle ne s’était jamais sentie aussi humaine, aussi faible, ses émotions prenant parfois le dessus. Des visages, des cris dans la nuit, le souvenir de ses meurtres, continuaient de la hanter lorsqu’elle baissait la garde. Depuis des siècles, elle n’avait connu que colère, sadisme et dévouement envers ses supérieurs. Depuis cette fameuse nuit, tout ce qui n’était que certitudes avaient pris la teinte amère du doute et de la rancune. Elle continue de longer les tombes, profitant de ce moment pour embuer ses poumons de tabac, inspirant la fumée tout en fermant les yeux, à la recherche d’un plaisir simple et rapide ; les bras des hommes et des femmes n’étant plus suffisant à eux seuls pour aliéner cette part d’humanité.

Elle se prend parfois à rêver d’étriper Jace, le petit nephelim qui est la cause de ce libre-arbitre, bien que cela soit très réducteur de résumer cette situation ainsi. Il faut bien un fautif à tout cela, il est plus simple de haïr cet humain que de nourrir cette rancœur envers l’univers. Une certaine fierté émerge tout de même de tout ceci. Elle était LA démone qui avait montré son dévouement, poussant sa fidélité jusque dans l’inconnu de ce sacrifice. Quel démon serait assez fou pour accepter cela, elle apparemment. Mais elle n’est pas dupe, tout sourires devants, mais derrière… il lui arrive de décrypter le regard de ses confrères et supérieurs. Elle se sent surveillée, jugée, chaque mouvement faisant l’objet d’une expertise rigoureuse. Elle fait de son mieux pour donner le change, mais personne n’est infaillible. Elle a changé, c’est ce qui se dit, même dans les tréfonds des enfers. Sa seule consolation, c’est qu’elle ne peut pas se faire abattre, par l’un ni l’autre des camps. Elle est une putain de ligne, un putain de mur de Berlin, recevant les griefs de chaque camp. Oh, personne n’a pu lui reprocher en face son changement de comportement. D’ailleurs, le seul qui aurait le grade, et l’envergure pour le faire, n’était autre que son créateur Kobal. Enfin, c’était sans compter Sytry qui lui arrivait de fréquenter pour l’affaire Cassie.

Elle se sent au milieu de tout cela, perdue dans cette guerre sans fin entre le bien, et le mal. Elle ne fait plus partie des factions démoniaques. Elle qui avait pour but de satisfaire ses supérieurs, et d’obéir aux exigences de Lucifer, même les plus monstrueuses. C’était son objectif de vie. Elle n’est pas un ange, ni un être humain. La rébellion, mieux ne vaut pas y penser, car même là-bas, elle ne trouverait pas sa place. De son passé, il lui reste son métier, celui d’avocate, même si maintenant, elle refuse certaines affaires qui l’exposeraient bien trop. Se prenant à prendre en pitié certaines victimes. Se prenant à être horrifiée rien qu’à l’idée de tuer un enfant. Elle, qui ne faisait pas de distinction de sexe, ni d’âges, ni de races.

Caym s’arrête, prenant quelques secondes pour s’asseoir sur un banc. Elle qui préférait les endroits bruyants où la musique fait saigner les tympans, elle prenait plaisir à se retrouver seule en ce lieu où le silence régnait. Enfin, c’était sans compter la présence d’un invité surprise. Elle ne se retourna pas, se contentant de terminer sa cigarette, un sourire énigmatique aux lèvres. La démone avait entendu parler de lui depuis sa création. Elle l’avait craint depuis toujours, et ce soir, sa présence ne faisait que l’amuser. « Je ne pensais pas vous rencontrer un jour » le vouvoiement était de rigueur, même s’ils étaient ennemis, elle savait reconnaître les échelons, et la supériorité de ceux-ci. Seule une folle se laisserait aveugler par sa haine… Même si dans le cas de Caym, il ne s’agissait pas de haine. « Quelle ironie n’est ce pas. Ce petit quelque chose qui me faisait sortir du lot, tout le monde peut en profiter maintenant » Enfin, elle n’était pas seule dans cette situation, il y avait bien Uriel… sans doute le seul être vivant qui sait parfaitement ce qu’elle ressent. « Je ne pensais pas que vous viendriez perdre votre temps en ma compagnie. » Ce n’était pas du sarcasme, mais plutôt de la curiosité. « En l’occurrence je ne suis pas la voleuse d’âmes, et je ne suis plus dans le secret des plus grands » Elle se releva, et se tourna pour lui faire face. Impressionnée par sa prestance malgré elle, même si elle ne laissait rien paraître « Voici le grand Ezechiel, je vous imaginez plus âgé, enfin physiquement »

La démone plongeait son regard dans celui de l’ange pour essayer d’y lire une quelconque émotion. Mais rien, clairement rien. À croire que son interlocuteur était totalement hermétique à ce genre de particularité humaine. Le chanceux ! Était-il conscient de sa chance ? Être dépourvu d’émotion humaine lui permettait de mener ses missions à biens sans s’encombrer avec ses états d’âme. Une réponse énigmatique sur le temps vint lui faire esquisser un léger sourire. « Eternel, en effet, sauf si vous finissez embroché par l’ épée d'Ahriman » Répondit-elle sans prendre de ton menaçant. Non, elle ne faisait que discuter, sans aucune animosité ; de la curiosité peut-être, de la maladresse, ça c’était certain.

Caym soupira en levant les yeux au ciel lorsqu’il lui rappela son changement de camp forcé. Il lui était difficile encore d’accepter la situation. Pendant des siècles, elle a défendu la cause de Lucifer, sans s’encombrer de futilités. Sa seule préoccupation était de satisfaire ses supérieurs. Être une guerrière des factions de Lucifer, c’était son identité, et là du jour au lendemain, elle s’était retrouvée sans rien. Enfin, rien est un grand mot puisqu’il pèse sur ses épaules l’équilibre de l’humanité, du monde et cela n’est pas rien. « J’attendais Uriel, mais il vient de m’informer qu’il a un empêchement » mentit-elle. Après tout le mensonge n’est il pas propre aux démons et aux êtres humains. Au moins voilà encore une chose qu’elle faisait avec art. « Et cet endroit me plaît de par son silence » et dans cet endroit, tout comme avec Uriel, elle n’était pas obligée de se faire passer pour ce qu’elle n’était pas, pour ce qu’elle n’était plus.

« Ne me regardez pas ainsi. Je doute d’avoir fait le choix de tout cela » dit-elle en haussant les épaules. Elle s’était toujours demandé la raison de ses tourments en enfer. Mais une chose était certaine, une chose qu’elle ressentait au fond de ses tripes, ce n’était pas un choix. « La frontière entre le bien et le mal est si fine, surtout quand on est humain, et à une époque où il fallait se battre pour vivre.... mais soit, il est plus simple de haïr l'ennemi. La haine est une émotion que je connais, que j'ai appris à apprivoiser, tout comme la colère. et vous, qu'est ce qui vous fait bander ?» Lâcha t-elle en faisant tout ce qui lui était possible pour garder son sérieux « Avoir Samkiel comme ange gardien ne m’a pas aidé non plus. Vous avez votre collégue qui a été bercé trop près du mur » lâcha t-elle en laissant échapper un petit rire. Elle ne savait même pas pourquoi elle lui disait tout cela à l’emplumé. Et surtout pourquoi il perdait son temps à l’écouter. Elle avait l’impression d’être un rat de laboratoire, et qu’elle était en train d’être observée par le scientifique qui la nourrissait. « Tuer était si facile, si simple, voir amusant… et maintenant » Son regard s’assombrit pendant un instant, avant de se replonger dans le sien. « Je ne sais pas ce que je recherche. Je n’ai plus de but. Nous sommes différents, et en même temps si semblable. Ce qui vous anime, c’est la volonté de Dieu… moi c’était celle de Lucifer, et maintenant je suis liée à mon ennemi de toujours qui ne m’a jamais semblé aussi familier » Elle était totalement perdu. Tout était clair depuis toujours, et il avait suffit d’une nuit pour que son propre équilibre soit perturbé aux bénéfices de celui du monde. « Quelles sont vos certitudes sur tout ceci, toute cette mascarade sur la vie et ce combat »

La démone était aussi inquiète sur ce qui était en train de se tramer. L'inquiétude était aussi tout nouveau pour elle. Elle qui était plutôt confiante et pragmatique, elle l'était beaucoup moins depuis que l'équilibre était menacé. Et si son sacrifice n'avait servi à rien ? et si les cavaliers reprenaient le contrôle, anéantissant son dernier geste d'asservissement.

Caym était assez déconcertée par le comportement de l’ange. Elle qui était habituée à la haine, il n’y avait aucune trace de ce sentiment, dans le regard, l’intonation de voix ni même dans le comportement d’Ezechiel. La démone avait plutôt l’impression qu’il ne comprenait pas ce qui voulait dire, ni où elle voulait en venir. Avait-elle essayé de l’énerver, de l’agacer, ou de le choquer par habitude. Certes oui. [b] « Vous n’êtes pas plus habile que moi dans l’art de la conversation » dit-elle pour elle-même, sans vraiment attendre une réponse. Contrairement à lui, ses difficultés oratoires étaient récentes. Aujourd’hui, il lui arrivait soit de parler avec ses tripes, en jonglant avec ses nouveaux attributs, soit de mentir pour faire croire à son auditeur qu’elle était toujours cette bonne vieille Caym ; et que rien n’avait changé. Mais tout a changé cette nuit-là. Une nuit suivie, de cauchemars, de tortures psychologiques en revoyant chacun des visages de ceux qu’elle avait tué. La liste était longue, et pas encore terminée. Elle fermait rarement les yeux pour éviter ce genre de vision d’horreur. Heureusement pour elle, les démons n’avaient pas besoin de dormir pour se ressourcer […] alors pourquoi certains soirs, comme ce soir, elle se sentait si fatiguée ? si âgée ? si lasse.

La petite brune esquissa un léger sourire, un sourire énigmatique lorsqu’il lui avoua qu’il ne l’aurait jamais imaginé à un tel endroit. « Moi non plus » souffla-t-elle en se disant que la situation était assez ironique. Un ange de dieu, ayant hérité d’une incapacité à comprendre les émotions, était en train de la cerner. « J’ai besoin de me ressourcer » ou plutôt de fuir pendant quelques heures son environnement, l’œil inquisiteur de Kobal et de Sytry, les rumeurs chuchotées d’une oreille à l’autre. Elle pensait aussi voir Uriel, la seule personne qui pouvait vraiment lui faire du bien par sa seule présence. Parfois, ils restaient des heures l’un à côté de l’autre, sans presque parler. Sentir la présence de l’autre, se reconnaître en lui, suffisait à atténuer ses doutes, ses angoisses et surtout à compter ses émotions fougueuses.
« Je ne sais pas. L’Homme n’a pas attendu les démons pour agir de manière ignoble. Ne sommes-nous pas le miroir des Hommes, leurs pires reflets me concernant. Sil n’y avait pas de mauvais Hommes, il n’y aurait pas de démon. Et vous, vous n’auriez pas de cause à défendre. » Elle était tentée de reprendre une cigarette mais s’en abstient. « Je suis surveillée Ezechiel, ils me respectent mais ils ne me font plus confiance. Ils sont des meurtriers, les pires que cette terre puisse connaître, mais pendant des siècles ils ont été ma seule famille » Curieux d’entendre le terme famille de la bouche d’une démone, et non celui de compagnon d’armes. « Je ne sais pas ce que je suis. Je ne suis pas l’humaine que j’ai oublié, je ne suis pas non plus la démone que j’ai tant connue »
« Je ne considère pas Uriel comme mon ennemi… malgré nos décennies d’animosité… il est vrai que je ne suis pas toujours très tendre avec lui, question d’habitude j’imagine… ou comportement que je cultive pour me rassurer. Mais si l’équilibre est menacé par les cavaliers, si les plans sont de nouveau perturbés par ce vol d’âme ? Notre sacrifice ne sera-t-il pas vain ? Et s’il arrivait quelque chose à Uriel ? ou à elle ? qu’adviendrait-il de l’équilibre ? accepterait-elle de perdre Uriel. Ils ne peuvent pas être tués par une interdiction… mais si on revient à son déchu favoris, lui se fiche de tout cela. Personne n’est intouchable. Il y a toujours plus fort que cela. « N’êtes-vous jamais lasse ?

Caym haussa les épaules. Elle-même ne savait pas pourquoi elle acceptait cette proximité avec un ange tel que Ezechiel. Elle ne pensait même pas que cela lui était possible de tenir une conversation avec un être aussi opposé à sa personne. Il attendait une réponse, mais la réponse ne vint pas. Il y a des choses qui ne pouvaient pas s’expliquer. Comme cet échange qui lui vaudrait quelques remontrances si quelqu’un l’apprenait. Remontrances qui auraient sans aucun doute un impact sur sa qualité de vie en tant que démone. Il savait pointer, viser dans le mille. Relever ses inquiétudes, ou ses incompréhensions. « Je me dois de les côtoyer. Vous ne voyez pas de démon, mais j’en suis un » répondit-elle de manière plus brutale. Ce n’était pas contre lui au fond, il mettait le doigt sur ses peurs et elle n’aimait pas ça. D’ailleurs, elle ponctua ses propos en montrant son regard démoniaque pendant un instant. « Je n’ai pas d’âme, et cela depuis très longtemps » Elle regretta aussi tôt sa réaction, le petit serpent venimeux venant la mordre psychiquement une nouvelle fois. Elle s’installa de nouveau sur le banc en prenant sa tête entre ses mains. « Qu’est ce que je peux faire pour aider ? » Elle parlait évidemment de cette histoire d’âme volée. Elle avait proposé ses services à ses supérieurs, mais ceux-ci avaient décliné gentiment en orientant la conversation vers un autre sujet. Apparemment, Caym était trop précieuse pour se mettre en danger […] blablabla […] Mais, elle sentait que ce n’était pas l’unique raison. Ils n’avaient plus confiance. Ils pensaient qu’elle pourrait les trahir. Elle, qui était restée fidèle. Elle qui se mettait toujours en danger. Elle qui obéissait au doigt et à l’œil sans discuter les ordres. On venait de l’installer dans le placard à balai. « N’importe quoi, il y a bien quelque chose à faire ? » Elle leva son regard sur lui, son regard revenu au bleu océan habituel. Pas un océan calme, mais un océan par temps pluvieux, teinté de gris.

« Lasse, des combats, de votre existence, de n’importe quoi » répondit-elle en se levant ne tenant pas en place. « De cette guerre sans fin » Ses paroles devenaient dangereuses. Elle se posait des questions existentielles sur la vie, alors que jusqu’à lors, on ne lui demandait pas de se poser des questions. Elle obéissait, point. « Il faudrait peut-être que je m’en aille, cette conversation est… enfin bref ! » Caym avait l’impression de dérailler complètement. Elle discutait avec un ange, et pas n’importe lequel, le frangin du big boss « Si on me voit avec vous, je ne suis pas certaine d’être crédible dans mes réponses » esprit indépendant certes, mais esprit qui ne voulait pas alimenter les discussions à nouveau. Esprit qui ne voulait pas décevoir celui qui l’avait façonné. Objet de sa fierté, certes, mais démone qu’il pouvait considérer comme instable. « ça a été un plaisir quand même… » confia t’elle sans le regarder dans les yeux.

Ma proposition était de nouveau rejetée. Rester en vie. Sa seule et unique mission. Mission nécessaire, louable, importante, mais ennuyante pour quelqu’un qui a toujours été habituée à se battre. Elle soupira de manière quasi-imperceptible. Ce n’est pas comme si sa réponse l’étonnait. Allait-elle passer le reste de son éternité à ne pas mourir. Pensait-elle en souriant intérieurement pour donner suite à cette pensée stupide. Il lui fallait un verre, voire deux, et pourquoi pas un homme pour venir salir ses draps de sa transpiration. « Je ne sais pas. Quand j’y pense, ma question est stupide. » répondit-elle simplement en se disant que c’était peut être le bon moment pour m’allumer une cancerette. Elle aspira la fumée, en essayant d’éprouver du plaisir, mais rien ne vint. A croire qu’elle fumait de manière automatique pour se donner un genre comme les actrices américaines des années 50, ou pour avoir les mains libres pour éviter de mettre son poing dans la figure du premier passant. « Il n’y a rien à expliquer j’imagine. » C’est sans doute elle qui se prenait encore une fois la tête pour rien. Il fallait vraiment qu’elle s’entretienne avec Uriel. C’est un moment qu’elle ne l’avait pas vu. A croire qu’il essayait de l’éviter, à moins qu’elle se faisait encore des idées à ce sujet. « Je n’appartiens plus à un camp. J’ai sans doute le droit de parler à qui je veux, surtout pendant cette période… mais il y a déjà beaucoup de chose qui circulent à mon sujet. Des rumeurs que je ne peux pas toujours contrôler, beaucoup sont infondées. Et apparemment les démons n’ont que ça à faire que de parler sur ma charmante personne. » Si elle s’écoutait, elle les enverrait tous aller se faire foutre en enfer. Heureusement, la plupart était trop malin pour l’ouvrir devant elle ou devant l’un de ses supérieurs.

« Oui, dites-moi » répondit-elle sans vraiment avoir besoin de réfléchir. Elle se doutait que ça soit une question indiscrète ou déplacée, surtout venant d’un ange.

Caym voyait les choses autrement. Au contraire, elle devait tout, notamment à Kobal. C’était grâce à lui qu’elle était devenue aussi forte, aussi sûre d’elle. Elle n’était plus cette petite chose frêle fraichement débarquée en enfer. Enfin frêle, ce n’est pas sans compter son caractère qui a fallu briser pendant cinquante longues années. Cinquante longue années à se faire torturer par l’un des lieutenants de Lucifer, c’est le genre de chose qui laisse des marques. Des marques indélébiles. Néanmoins, les paroles de Lucifer éveillaient en elle ce léger doute, comme un murmure, quelques paroles soufflées dans le creux de l’oreille. Et s’il avait raison ? non impossible. Elle préféra donc ne pas s’attarder sur le sujet, attendant qu’il continue son discours.

« Comment pourrais-je le savoir ? » dit-elle en prenant un peu de recul, pas physiquement mais intellectuellement. Il est vrai qu’ils semblaient en vouloir à Lucifer également. Sinon pourquoi détourner sa marchandise principale ? Les âmes étaient aussi précieuses pour l’enfer que pour le paradis. « Peut-être souhaitent ils ne plus être des pions… » glissa t-elle tout en continuant de réfléchir. Parlait-elle avec son cœur, avec ses tripes ou avec son cerveau ? ça seul le diable sait « être si puissant, et devoir rendre des comptes à un créateur… n’est ce pas frustrant à la longue ? »

Elle plongea son regard dans celui de l’ange avant de poursuivre « Lucifer n’a-t-il pas lui-même tourné le dos à son créateur… » elle marqua une pause avant de poursuivre « Je ne sais pas comment Lucifer les a traité… si ce n’est que comme des jouets qu’on sort du placard pour mieux les ranger plus tard, je doute que cela ait plu aux cavaliers. Est-ce une histoire de vengeance, ou bien une histoire de pouvoir ? Je ne vois pas Lucifer se mettre à dos ses créations, surtout ce type de création qui lui a demandé beaucoup d’énergie… nous sommes en guerre, ce n’est pas le moment de décimer les troupes. » et elle, n’était-elle pas aussi une création en mal de reconnaissance ? enfin, évidemment on la remerciait, mais dans l’ombre, c’était tout autre chose. Elle souffrait de ce manque de confiance, elle souffrait de ne plus se sentir chez elle nulle part. « mais bon, c’est peut-être tout autre chose. N’oublions pas que ces choses sont incapables de ressentir… et moi si, mon jugement est faussé maintenant que je suis différente »

C’était curieux d’échanger sur ce genre de sujet avec un ange tel qu'Ezechiel. Cela faisait bien longtemps qu’on ne lui avait pas demandé son avis sur une situation. Elle appréciait qu’il prenne ses paroles en considération bien qu’elles ne soient pas très objectives. En effet, la démone avait eu l’impression de parler d’elle et non de ces créatures que sont les cavaliers de l’apocalypse. « Les démons adorent jouer avec les humains. Certains trouvent que le monde deviendraient plus fade s’il changeait » dit-elle, et c’était pure vérité. Quelques démons n’adhéraient pas vraiment à cette idée d’apocalypse. Quel sera l’avenir ? Une traite d’humains ? On ne savait pas trop. Dans tous les cas, ça sera beaucoup moins marrant pour la chasse. La chasse, c’est ce qui fait vibrer les prédateurs. Obtenir les choses de manière trop facile est moins plaisant. Lucifer, n’agissait-il pas par vengeance comme un enfant capricieux ? Se servant de ses jouets, de ses créations pour embêter son paternel. Heureusement pour son joli minois, elle ne pensait pas ce genre de chose à voix haute. Elle avait assez d’intelligence pour garder ses pensées, son opinion pour elle.

« En danger ? » Pourquoi hésitait-elle autant ? Pendant un instant, son cerveau refusa de fonctionner. Elle prit quelques minutes avant de lui répondre. Essayait-elle de le rassurer ou de se rassurer elle-même ? « Non, je ne le suis pas. Ils ne me feront pas de mal » Pas parce qu’elle est la favorite, loin de là […] bien qu’il n’y a pas si longtemps que ça, c’était un peu le cas, mais elle n’est pas non plus une indésirable. Elle attendait avec impatience, et avec appréhension son prochain rendez-vous avec Kobal. « J’en suis certaine » dit-elle sur un ton qu’elle espérait convainquant. « Je suis respectée par mes supérieurs pour ce que j’ai fait… Après les autres, les sous-fif, je m’en fiche » ajouta t-elle en essayant de s’en convaincre. Avant, pas un de ces petits démons auraient osé parlé sur son dos… Maintenant c’était bien différent. Qu’ils retournent en enfer ces crétins

« Bonne soirée Ezechiel. A bientôt peut-être » glissa t-elle sur un ton charmeur avant de lui tourner le dos et de s’éloigner. Encore une première ! Tourner le dos à l’ennemi sans craindre une attaque. Curieusement elle avait apprécié ce moment passé avec lui, court mais intéressant.