J'avais conscience que le sort de Saul et de ce procès avait été compliqué par nos plans d'apocalypse. Chaque nouvel évènement inexplicable, ou presque, avait retardé les procès en cours. Encore et encore. La ville reprenait seulement maintenant un rythme a peu près normal et avec elle le système judiciaire. J'avais donc interrompu ma journée de travail pour rendre visite au procureur, entre deux de ses affaires au tribunal au nord ouest de la ville. Heureusement, ça n'était pas loin du bureau et j'avais pu jouer les parfaits petits humains en utilisant la voiture, ce sans perdre trop de temps.

L'affaire du meurtre de Cassie trainait depuis des années, ce qui laissait Saul en prison, en attendant un jugement. Un fait plutôt réjouissant, même si j'aurais préféré quelque chose de plus définitif. A présent que le procès allait reprendre, cet objectif était de nouveau en vue, et le procureur avait voulu s'entretenir avec moi pour revoir mon témoignage.

Témoignage corroboré par plusieurs témoins à la World Global Financial et aussi par les preuves que nous avions accumulées et forgées contre Saul. Son innocence était un lointain souvenir, du moins je l'espérais. Car même si le procureur semblait savoir ce qu'il faisait, je n'avait pas confiance en cet humain et aurait préféré voir Caym traiter entièrement l'affaire. Changement ou non, elle était un requin quand il s'agissait de son job. Mais elle ne faisait qu'offrir une aide à l'accusation, pour aider l'enfer et moi par la même occasion, et n'avais pas sa place dans cette pièce selon le procureur. Ainsi soit-il...

Après avoir revu plusieurs fois les questions que pourraient poser l'opposition et ravivé quelques souvenirs, j'avais fini par sortir de la petite salle qu'on avait investi, las et quelque peu éprouver par la chose. Non pas par des sentiments que je prétendais avoir, mais par le jeu d'acteur que je devais offrir pour vendre la chose.

Personne ne mettais rien en doute. Ni mon numéro de veuf éploré, ni mon innocence, si fausse soit-elle... J'avais joué la comédie pendant des années et ce n'était pas près de changer ou d'être mit à jour. Mais je devais bien avouer que cela devenait de plus en plus fatiguant de prétendre, même si j'étais toujours déterminé à le faire et mener ce plan à bien. C'était toujours dans cet état d'esprit, le visage plaqué de ce masque humain affecté que je tentais de quitter le tribunal. Quelques minutes, le temps de rejoindre la voiture, et j'aurais fini cette comédie pour aujourd'hui...

C'était du moins ce que j'avais espéré avant d'entrer en collision avec une jeune femme, une avocate j'étais près à le parier, au détour d'un des couloirs.

« Désolé, nous avons tourné au même moment je crois. »

Je lui offrais une moue forcée, allant pourtant de pair avec cet air d'humain affligé par la peine, et demandait :

« Rien de cassé ? »

La situation est presque cocasse, quand on y pense. Un démon, le premier lieutenant de Lucifer qui est forcé de jouer les hommes endeuillés et ce malgré les années. Obligé de prétendre vouloir une justice pour un être aimé, alors que la vérité ne pourrait pas être plus éloignée...

Et il suffit d'un angle, d'un mur, pour prolonger ce calvaire. Comme quoi, parfois tous les pouvoirs du monde ne sauraient être suffisant ! J'aurais envie de souffler de désespoir, si seulement ça ne s'annonçait pas sonner faux, dans ce rôle que j'ai endossé. Alors je garde cet air désolant et continue dans ma lancée. Quoi faire d'autre, quand je suis encore à quelques mètres du procureur, et dans les locaux ou tout pourrait se démêler ?

« Pas de dégâts. » Ma réponse n'est pas vraiment utile, j'ai vu à son air qu'elle l'a posée par principe avant de réaliser que les chances étaient plutôt contre elle.

On peut dire qu'au moins, je peux me féliciter d'une chose. Je suis toujours au top niveau jeu d'acteur. Car sans même sembler me connaitre ou avoir eu vent de la raison de ma présence, la jeune avocate semble tout de suite comprendre que quelque chose cloche. Et c'est qu'elle s'inquiéterait pour moi, en plus. Ah les humains... A la place d'un sourire satisfait qui ne serait clairement pas le bienvenue, je lui en offre un presque mélancolique avant de lui répondre :

« J'ai du me remémorer quelques souvenirs douloureux. Mais, ça va aller. Tant que le procureur à ce qu'il lui faut, n'est-ce pas ? »

Si j'avais vu juste sur sa profession, en dire si peu suffirait. Et sinon... je me demandais bien ce qu'elle fichait ici comme si elle avait bossé toute la journée sur des affaires.

« Vous œuvrez de l'autre coté ? Avocate, n'est-ce pas ? »

Mon sens de l'observation ne m'as pas trompé. La jeune femme est avocate et le confirme simplement. Mais elle ne semble pas vouloir parler d'elle et m'interroge, cela dit pas sur le contenu de mon rendez-vous ou ce qui l'a poussée à me demander comment j'allais. Le tact. Un concept humain qui me fait rire, et pourtant j'ai souvent été forcé de faire avec.

« Oui, tout s'est bien passé. Il pense que je suis prêt. Reste à savoir si le procès aura l'issue qu'il faut. »

A savoir Saul derrière des barreaux à vie. Une partie de moi s'amuse à cette idée, est-ce que c'est pas pire que les tortures en enfer ? Pour moi ça le serait certainement. D'autant plus quand on sait qu'a un moment il aura du mal à expliquer sa jeunesse éternelle. Mais d'ici là... je me serait probablement lassé de cette punition et aurait envoyé quelqu'un le tuer pour le renvoyer en enfer. Le bon point c'est qu'on savait ou le trouver ces derniers temps.

« Vous en avez peut-être entendu parlé. McGregor contre l'état de Californie. » J'aurais pu me taire sur le procès en question. Mais j'étais curieux de connaitre son opinion. Elle avait probablement eu vent de ce qui se disait dans la presse sur les preuves accumulées contre Saul. Et connaître l'opinion de personnes extérieures pouvait me donner une petite idée de ce à quoi m'attendre. Est-ce que les jurés allaient le juger coupable ? Avec tout ce qu'on avait pu créé comme preuves en plus des véritables indices... j'espérais bien qu'il perde le procès. Mais son avocat commis d'office semblait drôlement motivé et n'arrêtait pas d'essayer tactique sur tactique.

« J'en oublie les bonnes manières, désolé. Liam, enchanté. » Fis-je en tendant ma main, réalisant que nous ne nous étions pas présentés.

Les présentations faites, j'avais mentionné simplement le procès pour déterminer à quel genre de personne j'avais affaire. On pouvais juger du caractère d'une personne grâce à ses réactions sur des sujets variés. Mais quand il s'agissait de meurtre, c'était souvent plus facile, car les réactions avaient moins de difficultés à sortir.

Nombreux étaient les humains qui donnaient un avis sur tout et n'importe quoi. Mais plus encore sur des affaires morbides du genre. Alors qu'avais-je face à moi ? Une passionnée ? Une personne au jugement facile ? Une... personne qui faisait confiance à la justice, si je me fiais à ses paroles. Pas le genre qui m'intéressais le plus, clairement. Pourtant face à Liam et l'humain que je prétendais être, c'était probablement la réponse la plus adaptée. Ou... quelque chose s'en approchant du moins.

« C'est ce que l'ont souhaitent tous. » Soulignais-je pour toute réponse face à son souhait concernant l'affaire. Même si la vérité était différente, plus compliquée. Je souhaitait une forme de justice à la trahison de Saul. Même si ça passait par ce genre là.

« Vous avez bien comprit. Comme beaucoup d'affaires, elle avait été reportée à cause de l'épidémie et de... d'autres choses étranges. Mais le système judiciaire est de nouveau pleinement en marche. Vous en savez quelque chose. » Fis-je avec un léger sourire, alors que ses yeux étaient rivés dans les miens. Je n'étais pas certain de la raison qui la poussait à me regarder de la sorte. Empathie ? Une part de gêne ? D'attirance ? Je maintenais son regard un cours instant et finissais par demander :

« Est-ce que tout vas bien ? Vous avez l'air... ailleurs ? »

Elle semblait excuser son regard insistant par la fatigue de son job et je n'était pas la pour la contredire. Quelle dise vrai ou non, j'étais censé être autre chose aujourd'hui. Le procureur n'était qu'a quelques minutes en arrière et le démon en moi... il était forcé de se taire.

« Pas de soucis. Je peux comprendre, j'ai un travail très intense aussi. C'est pas toujours facile de suivre. »

Je lui offrait un sourire tandis, qu'elle m'offrait de poursuivre la conversation. Je devais bien avouer que j'étais intrigué. Car j'ignorais pourquoi elle le souhaitais et j'étais de plus en plus tenté de lire ses pensées je devais bien l'admettre. Je m'étais retenu cela dit, m'amusant quelque peu de la déchiffrer à l'ancienne, simplement en l'observant. Elle était... une énigme à résoudre pour le moment et ça me distrayais. Même si je devais rester dans ce rôle un peu plus longtemps.

« Non, au contraire. Je crois que j'ai envie de quitter ces murs également. » J'avançais le premier ouvrant la marche pour rejoindre l'entrée du bâtiment. J'inspirais profondément arrivé dehors, avant de me tourner vers elle et de lui demander :

« Ça vous dérange si je vous demande une cigarette ? Je ne fume pas normalement mais... après tout ça. Je crois que ce sera pas de refus ! »

Enfin à l'extérieur de ce bâtiment de malheur je lui demandait un petit geste, elle m'avait alors offert une cigarette sans la moindre hésitation. Sitôt allumée, je tirais dessus, tout comme elle. Le geste en soit avait un effet relaxant, mais le reste... disons que ce n'était pas pour les démons. C'était comme l'alcool, substances pour pouvoir expérimenter... alors pourquoi lui en demander une ? C'était juste pour le show, la performance d'humain en détresse.

« C'est sur, oui. » Je répond simplement, parce qu'il n'y a rien à ajouter et au lieu de me complaire en paroles inutiles, je tirais de nouveau sur la cigarette, avant de lui offrir un sourire quand elle finissait par me demander dans quoi je travaillais.

« Je suis PDG d'une firme d'investissements financiers. » En général c'était le genre de job que les humains critiquaient. Fixés sur l'argent, sans âme... on pouvait entendre beaucoup de choses si on tendait l'oreille. Mais je m'en fichait. De un parce que c'était exactement le cas me concernant. Mais aussi parce véridique ou pas dans mon cas, les apparences disaient tout le contraire. J'avais su travailler et parfaire l'image de l'homme d'affaire misanthrope sur les années. Entreprises sauvées de la faillites, œuvres de charités soutenues... les journaux relataient ces faits sans savoir que tout servait tout de même Lucifer.

« Je dois vous avouer, après ce rendez-vous et les journaux... c'est rafraichissant de rencontrer quelqu'un qui n'a aucune idée de qui je suis ou de ce que je faisais là. J'avais peur de tomber sur une horde de paparazzis et de journalistes avec des questions. » Je la regardais, faignant le doute, le malaise et ajoutais :

« Désolé, si ça sonnait condescendant. Ça n'était pas du tout mon intention. J'avais juste peur que les journaux ai eut vent que c'était aujourd'hui que je voyais le procureur... Et... bref. Vous vous en fichez, n'est-ce pas ? » Ajoutais-je avec un sourire qui se voulait désolé lui aussi.

« Alors avocate, hein ? Je ne vous ai jamais croisées lors de mes nombreuses venues. Ça fait certes un moment avec les soucis qu'il y a eu, mais... vous pratiquez depuis longtemps ? » Certains auraient pu se demander ce que je faisais encore à parler avec elle. Elle ne semblait pas représenter d'intérêt pour un démon, elle était presque trop gentille pour être pervertie si je me fiais à mes premières idées. Mais pourtant... je restait. Peut-être seulement pour éviter de retourner bosser de suite. Ce qui en soit pouvait se suffire comme raison.

L'avocate semblait presque impassible face à ma réponse. Elle avait légèrement haussé les sourcils quand j'avais nommé mon job, puis rien. J'acceptais facilement qu'on oublie cette information et qu'on cesse de parler de mon travail, alors j'avais laissé couler. Elle préférait se concentrer sur le sujet des paparazzis et je pouvais m'y faire. D'autant plus que je détestait ces connards. Toujours a chercher des scoops, tout aussi glauques qu'ils étaient. J'aimais le glauque, tuer... mais je n'aimais pas que d'autres que moi cherchent à décider de la narration autour de ça. Ils semblaient croire en la culpabilité de Saul, même si rien n'était dit clairement. Et tous s'accordaient à me juger innocent et comme le veuf éploré que je laissais paraitre. C'était en soit une bonne chose, ce qui l'était moins, c'était les photos et autres conneries du genre visant à étaler ma vie privée sur le devant de la scène. Sous prétexte qu'un procès publique et important avait lieu.

« Ça pour s'infiltrer ils s'infiltrent. Ça ne me dérangerait presque pas, si la raison n'était pas aussi glauque. Je n'arrives pas à comprendre qu'on harcèle des gens de photos ou questions quand il s'agit du meurtre d'un être cher... »

L'humanité ne valais pas grand chose selon moi, mais ceux là... ils étaient tout en bas de l'échelle. Je pouvais encenser un meurtrier, même humain. Après tout, c'était de ceux-là qui peuplaient l'enfer et faisaient ensuite les meilleurs démons. Mais ces sous-merdes... Ils n'avaient pas de prédispositions à devenir démons, ils étaient juste arrivistes. Qualité que je n’acceptais chez un humain que si la manière d'obtenir ce qu'il voulait était orchestrée. Pas s'il s'agissait seulement de se cacher derrière un buisson.

Les mots que j'avais réellement prononcés ne s'éloignaient pas trop de ce que je pensait vraiment et c'était ainsi plus facile de le vendre. Je n'avais cela dit pas insisté et après l'avoir dit, j'avais agit comme ce que j'avais dit. Sans attendre de réaction. J'avais plutôt écouté sa réponse concernant sa carrière à elle. Après tout, il fallait bien prétendre s'intéresser aux autres, quand on voulait paraitre, humain, non ?

« Ahah, j'ai arrêté de compter. » Blaguais-je avant d'ajouter : « Je ne dirais pas ça comme ça... Mes affaires, et ce procès... ça leur suffit vous savez. » Et ça me suffisait pour chercher à les éviter, comme elle disait. « Pour être plus précis, ça fait environ vingt ans que j'habite ici. Et que j'ai monté mon entreprise, petit à petit... »

C'était un long moment, mais pas pour un être comme moi. Et pas quand il s'agissait de préparer le terrain pour les plans de Lucifer. Le résultat était d'ailleurs là, puisque j'avais une place de premier choix pour financer l'apocalypse.

« Mais, et vous ? Vous pensez quoi de notre cher Los Angeles ? » Demandais-je avec politesse. « La cité des anges à su vous séduire jusque là ? » Renchéris-je avec un sourire courtois.

Je ne m'étais pas insinué dans les pensées de la jeune femme, n'en n'ayant pas besoin. Car, même si je ne pouvais pas clairement savoir ce qu'elle pensait face à mes dires sans le faire, je savais qu'elle était convaincue de mon humanité, et même de ma sincérité. Ses réactions, son langage corporel tout portait à le croire. Alors pourquoi tenter quelque chose qui n'était pas utile ? Je me reposait sur mon jeu d'acteur et son apparente gentillesse et évitait tout attribut démoniaque, me simplifiant la vie. Du moins dans ce cas précis.

C'était d'ailleurs avec son regard planté dans le mien qu'elle avait fini de me convaincre que j'avais raison. Elle ne semblait pas avoir peur, ou douter une seule seconde. Elle avait simplement continué la discussion, répondant à mes paroles puis ma question.

« Pour le moment les affaires vont très bien, et j'ai même pu recruter de nouvelles personnes, alors... j'essaie de ne pas trop m'avancer. Mais... j'ai bon espoir que ça continue comme ça. » Commençais-je, conscient qu'en plus de rapporter plus d'argent, agrandir l'entreprise améliorait sans cesse ma réputation auprès des humains. Être créateur d'emplois et sauver des entreprises sur le point de couler avait cet effet, avouons-le. Même si la vraie raison de ces choix était tout sauf altruiste... J'aimais qu'ils continuent de penser ainsi. C'était même ce que je visais sans cesse, à maintenir ces apparences de bon samaritain. Quoi de mieux pour un démon que d'être prit pour un 'ange', quand il cherchait à passer inaperçu ? Si on fouillait les journaux on pouvait trouver des articles parlant de mes rachats d'entreprises permettant la sauvegarde d'emplois, ou encore lire à propos des évènements caritatifs que j’organisai ou auxquels j’assistai. C'était le meilleur moyen pour paraitre pour ce que je n'étais pas, mais aussi éviter que la seule chose qui soit liée à moi dans leurs pages, soit l'affaire du meurtre de Cassie.

« J'imagine oui. Avocate... ça doit être prenant et pas vraiment laisser le temps pour les visites culturelles. »

Pour ce qui était de lui conseiller des lieux à visiter... je n'étais peut-être pas le mieux placé pour, mais toujours dans mon rôle, j'avais tenté une approche honnête :

« Vous savez, je n'ai pas énormément de temps pour visiter non plus. J'ai beau habiter ici depuis un bail, je n'ai pas visité le quart de ce qu'il y a à voir. Mais... si j'avais un lieu à conseiller, ce serait le griffith observatory. La vue est magnifique la bas, et le bâtiment est beau lui aussi. »

Elle s'était finalement décidée à nous interrompre dans notre discussion, réalisant que le temps passait. Elle semblait inquiète à l'idée de me soustraire à des obligations. En soit, j'avais toujours plus important à faire. Pour mon roi, pour le travail... Beaucoup ce seraient même demandé ce que je faisait à parler avec elle. Je n'avais rien à y gagner. Je jouait l'humain qui plus est, dans une journée ou j'avais du le faire bien trop de fois. Et j'étais d'ailleurs censé recommencer dès mon retour à la WGF. Alors pourquoi je lui parlais ? Disons qu'avoir une avocate humaine dans la poche n'était pas une mauvaise chose en soit, même si on en était pas là. Mais en prime, donner l'impression d'être humain et mis à mal par mon rendez-vous avec le procureur, était plutôt inspiré et utile pour maintenir les apparences. Et pour finir... je savais pertinemment ce qui m'attendais au bureau. Et comme on disait... des deux maux, je préférait le moindre. Sa compagnie était bien supérieure à celle de l'employé que j'allais devoir accueillir dans mon bureau pour parler d'un contrat, sitôt j'aurais remis les pieds dans l'entreprise. Alors oui, je retardait mon retour et la corvée promise.

« Ne vous en faites pas, vous ne me faites pas perdre de temps. Au contraire. Vous êtes une très bonne excuse pour ne pas retourner au travail immédiatement. Après mon entretient avec le procureur... Je ne dis pas non à une pause. Les contrats peuvent attendre un peu, non ? » Fis-je avec un sourire.

« Et sans vouloir critiquer mon collaborateur, votre compagnie est plus apaisante, que discuter des tenants et aboutissants d'un contrat et autres joyeusetés du genre. »

Je laissais mon sourire s'évanouir petit à petit et ajoutais :

« A moins que vous soyez pressée ? »

J'étais presque devenu trop doué pour jouer les humains. Manipuler, prétendre était quasiment naturel, tant et si bien que c'était un jeu d'enfant. Une petite phrase ici, une là... Et la jeune avocate avait rit, flattée ou quelque chose du genre. Non pas qu'elle ne devait pas l'être, parce qu'après tout mes paroles étaient en partie sincères et elle était de bien meilleure compagnie que beaucoup d'humains. Mais... je trouvais presque la chose trop simple. Si j'avais été stupide, j'aurais presque pu me convaincre moi même de me rendre les choses un peu plus difficiles, simplement pour le challenge. Mais les apparences, ma couverture... tout ça était bien trop important et je n'étais pas un crétin. J'avais en général suffisamment d'égo pour pallier à ce genre de détails. Pourquoi se compliquer la tâche pour un petit moment drôle, quand je savais parfaitement que je pouvais le faire les yeux fermés ?

« Oui, c'est ce qui permet de resté sain... » Complétais-je avec un sourire amusé, quand elle parlait de pause. Notamment, pour moi, c'est souvent ce qui m'empêchait de perdre patience et d'arracher des têtes au sein de la compagnie. Mais... pour un humain, garder les gens en vie, ça voulait aussi dire normalité et sanité, non ?

« Je ne dis pas non au café. Et... non plus à l'invitation. » Après tout, peu importait l'argent que j'avais ou qui j'étais. Quand on vous offrait quelque chose simplement comme ça, refuser était malpoli et même le démon que j'étais le savait.

« Merci, à vous. » Je la toisais et mon sourire s'élargissant légèrement, je demandais :

« Et si on se tutoyais ? Après tout, il y a eu la cigarette, si maintenant on en est au café. On peut au moins arrêter de s'encombrer avec des formalités excessives, non ? »

La jeune avocate était semble-il partante pour un peu plus de familiarités, ce qui donnerait un goût un peu moins guindé à notre échange. Échange que je faisais durer, sans autre raison que c'était le meilleur moment de ma journée jusqu'ici. Je n'avais passé ma journée qu'avec des humains, les uns après les autres depuis le levé du soleil. Et la jeune femme était jusque là, la seule qui trouvait grâce à mes yeux et que je n'avais pas eu envie de d'éviscérer à mains nues. Pour avoir du se retenir à chaque envie de meurtre... c'était avouons-le moins frustrant d'être là à fumer ou boire un café avec elle que toute autre chose que j'avais du affronter aujourd'hui. Accepter le café, me donnait un petit temps de sursit avant de retourner à mes employés et ces envies de meurtre que je ne pouvais pas assouvir. Aussi, quand le barista nous avaient apporté notre commande, un café noir pour moi. J'avais facilement répondu à sa question :

« Le travail peu attendre encore un peu. Et il y a un parc un peu plus loin, sur le chemin de ma boite. On peut toujours marcher dans cette direction, si ça te vas ? »

Je désignais la destination dont je parlais et souriait avant d'ajouter :

« Encore merci, pour le café. Et la cigarette. » J'avouais ensuite la pensée qui m'avait traversé l'esprit, avec humour :

« J'ai l'impression d'un peu trop profiter de ta générosité. Je sais que la galanterie est surfaite de nos jours... Mais après t'avoir dit dans quoi je travaille. Te taxer comme ça... Est-ce que je devrais avoir honte ? » Fis-je en m'installant sur un banc, une fois arrivé à destination.

Parler avec elle, alors qu'elle semblait bonne et douce aurait surement rebuté bon nombre de démons et même d'humains. Mais j'avais une espèce de fétiche pour ce genre de personnes. Plus elles étaient bonnes et pures, plus c'était drôle de les torturer ou de les pervertir. Bien entendu, jusque là, l'avocate et moi n'avions eu qu'un échange lambda, il n'était pas question de torture, seulement de manipulation enfantine. Après tout rien ne laissait supposer que j'aurais quelque chose à gagner à la corrompre, si ce n'était un bon divertissement ou challenge.

Malgré tout, plus le temps passait et plus ce jeu d'acteur que je lui offrait la faisait entrer dans cette catégorie. A quoi je pouvait le dire ? C'était simple. Je n'avais même pas besoin de lire ses pensées, elle était un véritable livre ouvert. Ses sourires, ses coups d’œils qu'elle me donnait... toute sa gestuelle et même ses paroles m'avaient tout de suite prouvé qu'elle ne doutait plus de moi ou de ma sincérité. La blague qu'elle venait de faire en étant le parfait exemple.

J'avais rit à cette dernière, n'ayant rien besoin de feindre tant la situation me satisfaisait et rétorquait avec humour :

« Et je serais le seul responsable... Tu m'en verrais désolé, vraiment. Il faudrait que je trouve un moyen de me faire pardonner ! » Soufflais-je avec un sourire, avant d'ajouter plus sérieux :

« Je peux toujours te proposer de t'inviter en retour la prochaine fois que je dois venir au tribunal ? Si tu veux bien qu'on échanges nos numéros, bien entendu ? » Proposais-je simplement, avant de boire une gorgée de mon café. Je ne cherchais pas à la draguer, même si elle était séduisante soyons honnêtes, et même si une petite partie de moi la charmait. Mais, avec le retour de Cameron en ville, nous étions à une annonce prêt dans un média quelconque d'être de nouveaux officiellement en couple. Et il n'était pas question d’entacher ma réputation, ou cette couverture que je prenais soin d'entretenir. Ce, même si tout ça était parfaitement frustrant.

« Ce n'est pas une tentative bancale de drague, promis. Après tout, on a déjà prouvé qu'on aimait pas les clichés non ? » Fis-je en référence à ses dépenses et ma réflexion d'un peu plus tôt.

« J'apprécie ta compagnie et je dois bien avouer que je déteste entrer dans ce bâtiment. Il n'est pas synonyme de... bons souvenirs. Alors... tout ce qui me permet de mieux digérer mes visites est bon à prendre. » Expliquais-je avec un sourire triste qui me donnait presque envie de vomir tant il semblait réaliste.

Ma proposition définie et la drague éliminée de l'équation, à mon plus grand déplaisir, j'avais sourit tristement et attendu la réponse de l'avocate. Elle n'avait pas mit longtemps après la fin de mon explication à réagir et j'avais prolongé mon sourire face à sa gentillesse. Le démon en moi abhorrait cette qualité, mais mon égo lui saluait la performance qui avait mené à cet acte désintéressé.

« C'est gentil, merci. Nos besoins de nicotines et caféines devraient être assouvis, alors. » Plaisantais-je, toujours avec cette même expression sur le visage. J'en étais au point ou elle était probablement naturelle, car ancrée sur mes traits à force de la tenir depuis le bureau du procureur. C'était en tout cas ce que j'aurais pu penser, jusqu'à ce qu'un geste de l'humaine ne me prenne au dépourvu. Sa main sur mon épaule avait éliminé ce sourire triste pour affiché une légère surprise alors qu'elle répondait finalement à ma demande d'échange de numéros.

Je n'avais rien dit, pour commencer, saisissant sans un mot la carte de visite qu'elle me tendait. Ignorant la main qu'elle avait posé sur moi, je me concentrait sur ses paroles et sortait mon portable pour suivre sa proposition.

« Et voila. Rien de mieux que de le faire tout de suite ! » Soufflais-je alors que j'avais envoyé un cours message à la jeune femme, l'invitant à retourner la faveur d'enregistrer mon numéro avec une plaisanterie.

Pour ce qui était de l'appeler n'importe quand... Bordel ce qu'elle était bonne. Trop peut-être ? Non, personne ne l'était. Tout le monde avait une part d'ombre, ou un point sur lequel appuyer. Mais pour le moment, ça n'était pas ce que je cherchait chez elle. Ou peut-être bien que si, inconsciemment. Après tout, je pouvait jouer la comédie tant que je le voulais, on ne pouvais pas chasser le démon en moi.

« J'espère que tu ne vas pas mal prendre ce que je vais dire, ou trouver que j'abuse mais... » Je la regardais un instant marquant une pause, puis ajoutait presque avec solennité :

« J'ai rarement vu des gens aussi gentils et serviables que toi. » Je ricanais légèrement, enlevant à mon ton trop sérieux et continuais :

« Ça vient probablement du monde que je côtoie. Plus les gens sont riches... moins ils pensent aux autres. Ce n'est pas vrai avec tout le monde, heureusement, mais... »

Je lui offrait un sourire, prétendant forcer pour qu'il soit plus joyeux que les précédents.

« Merci, vraiment. Pour la cigarette, le café, mais surtout pour cette entracte dans ma journée. Parce que j'en avait clairement besoin ! » Je réfléchissais un instant et décidais d'enfoncer le dernier clou, ajoutant ces quelques mots :

« Dis-moi, est-ce que tu t'y connais en lois d'associations caritatives ? Ma boîte à des avocats, mais ils sont spécialisés dans les droits d'entreprises et autres joyeusetés et ils n'ont pas vraiment... la touche qu'il faut pour ce genre de choses. Ce sont des requins. Très utile pour la finance, un peu moins pour la charité. J'ai besoin de quelqu'un d'un peu plus... bienveillant ? Disons. »

Ça n'était pas une offre d'emploi à proprement parler. Plus un a coté, et une raison de la revoir en dehors des murs du tribunal. C'était surtout une solution parfaite pour solidifier encore plus mon image de bienfaiteur, mais aussi pour continuer de faire ce que j'avais fait tout au long de notre entretien. Il fallait que je finisse par l'admettre, chaque parole, chaque pensée... tout était calculé et en même temps j'analysais les façons que j’aurai de la pervertir. C'était une seconde nature chez moi et même sans m'en rendre compte, j'avais dirigé la discussion pour tester son degré de compassion, de gentillesse et toutes ces conneries. Et à présent... il était temps de passer à la vitesse supérieure.

J'ignorais si elle riait à ma blague sur mes employés ou si elle était seulement gênée ou je ne sais quoi, vis à vis de ce que je lui avais dit. Mais j'avais sourit à mon tour et attendu sa réponse. Le début était prometteur, elle disait être capable et à la façon dont elle avait tourné sa phrase, je n'imaginais pas tellement un refus. Mais je patientais tout de même, évitant de trop m'avancer, et surtout de prouver que j'analysais ses réactions. Elle avait fini par donner une véritable réponse et j'avais rit légèrement à sa blague.

« Je prend note. Cela dit, quelque chose me dit que tu seras plus adéquate que tes prédécesseurs. » Je marquais une pause, et regardait l'heure sur ma montre. Est-ce que je pouvais décemment prendre le temps de parler plus avec elle de ce poste ? Oui ! Après tout, je n'avais pas besoin de partir à une heure ou une autre du boulot. Ça n'était pas comme si j'avais besoin de sommeil et j'avais toujours la possibilité de finir quelque chose chez moi au besoin.

« J'ai encore du temps. Si tu veux on peut en parler davantage. Si toi tu as le temps, ça va s'en dire ? Et si tu as des questions ? »

Il y avait des choses précises à noter, comme le fait qu'elle ne travaillerais pas pour la WGF, mais en freelance grâce à un fond de la boîte réservé à nos œuvres. J'imaginais difficilement qu'elle n'ai pas de questions, mais restait à savoir si elle pouvait me les poser là ou si elle avait autre chose à faire. Moi... je n'étais toujours pas pressé de rentrer et je devais bien avouer que si je retournais au boulot pour trouver la boîte vide d'humains, je n'allais pas me plaindre.