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Il observait le bébé d’un air pensif, hésitant à prendre dans ses bras cette petite crevette fragile qui dormait toujours malgré les cris qui avaient résonné dans la maison quelques minutes plus tôt. Tout ces jouets, tout cet « amour »… Ca l’écœurait. Cette petite chose endormie allait grandir et devenir faible avec des humains aussi barbants comme parents. Il avait réglé le problème. Il pouvait la laisser là, d’autres humains finiraient par arriver pour s’occuper de cette chose… Et sûrement la laisser dans sa médiocrité qu’elle avait hérité de naissance. Il secouait la tête. Hors de question que sa création soit misérable et lui donne honte… Il finissait par prendre le bébé dans ses bras murmurant doucement à son égard :
« Je vais m’occuper de toi petite meurtrière... Les humains ne sont que des bons à rien… Tu ne seras pas comme eux, je ferais de mon mieux pour que ça n’arrive pas ne t’en fais pas. »*********
Plongé dans une semi-obscurité, la flamme de la bougie était la seule chose qui éclairait la pièce. J’observais en silence l’intruse qui reprenait petit à petit ses esprits et commençait à s’agiter… Je regrettais déjà le silence qui disparaissait sous les cris furieux de la femme qui s’était levé d’un bond et frappait à présent aussi fort qu’elle le pouvait contre la porte. Encore une autre pas très maligne. Elle finissait tout de même par me remarquer et se calmait aussitôt en se rapprochant, un air surpris sur le visage. Je pouvais sentir son regard m’analyser sous tout les angles et je ne me gênais pas pour en faire de même. Cela faisait déjà plusieurs heures qu’elle salissait ma chambre avec son sang alors qu’elle était resté étendue par terre inconsciente. C’était ma punition pour m’être plainte d’avoir froid, je devais la supporter jusqu’à ce qu’il en décide autrement. Il savait que je détestais partager mon coin avec ces emmerdeuses braillardes et insupportables. Je préférais quand il les gardait dans la cage à l’étage, loin de moi. Combien de temps je devais tenir ? Je ne le savais pas, et c’était sûrement encore plus frustrant. Heureusement ma chambre était plutôt spacieuse, il y avait suffisamment de place pour deux. Pourtant cette femme venait se coller vers moi et s’apprêtait à me toucher quand je la stoppais d’un regard glacial. C’était suffisant pour réussir à l’arrêter dans son élan alors qu’elle prenait une petite voix qui m’exaspérais plus encore en me demandant :
« Ne t’en fais pas…. Je ne te ferais aucun mal… Depuis quand tu es enfermée ici ? Comment tu t’appelles ? »
Je fronçais légèrement les sourcils en la dévisageant, me mordant légèrement la lèvre pour ne pas me moquer d'elle. Croyait-elle vraiment qu’elle pouvait me faire peur ? Elle ? Je ne soufflais qu’un seul mot, priant seulement intérieurement pour qu’elle s’en contente et se taise enfin.
« Caedes. »
Mais non… apparemment elle en avait décidé autrement.
« Caedes ? Tu t’appelles comme ça ? Moi c’est Elody. Il faut trouver quelque chose, pour l’assommer quand il reviendra ! »
Sa chute dans les escaliers quand il l’avait balancé ici avait du atteindre son cerveau. Et elle me donnait son prénom…. Lui avais-je seulement demandé ? Est-ce qu’elle pensait vraiment qu’elle m’intéressait ? Un soupir exaspéré passait mes lèvres. Je gardais pour moi mes pensées, restant silencieuse en espérant qu’elle resterait calme. Un espoir futile. Elle n’était pas différente des autres qu’il ramenait. Elle se relevait déjà et commençait maintenant à poser ses mains sur mon bureau, à toucher à toutes mes affaires et mettre le bordel sans la moindre gêne. Un sifflement passait mes lèvres sans que je ne puisse me retenir cette fois :
« Ne touche pas à mes affaires. »
Je lui désignais ensuite d’un signe de tête la trace ensanglantée qui séparait ma chambre en deux et rajoutais froidement :
« J’ai fais ça quand tu dormais, va de ton côté. »
Elle se retournait vers moi surprise, mais restait malgré tout dans ma zone… On parlait pourtant la même langue, elle aurait du comprendre. Peut-être était-ce parce que je n’avais que neuf ans ? Elle ne m’écoutait pas. Je n’étais pas une adulte et c’était apparemment suffisant pour ignorer ma requête. Elle continuait de fouiller mes affaires tout en me répondant :
« Quoi ? On doit trouver un moyen de partir d’ici. »
Je fronçais les sourcils et la fixais, sérieuse :
« Je sais comment te libérer. Mais je n’ai pas le droit normalement... »
« Je ne compte pas rester là ! Tu sais comment partir ?? Comment ? Dis-le moi, promis je t’emmène avec moi ne t’en fais pas je ne vais pas te laisser seule avec ce fou. Il ne te fera plus jamais aucun mal... »
Elle disait cela en dévisageant mes nombreux bleus et les multiples cicatrices qui pouvaient s’apercevoir sur mes bras, en grande partie dissimulée par mes vêtements. Il avait toujours prit soin en revanche de ne jamais me toucher au visage. Je la dévisageais sans vraiment comprendre pourquoi elle tenait tant à vouloir m’emmener avec elle. Ma place était ici, chez moi. Je me relevais calmement malgré l’irritation qu’elle me procurait :
« Je suis punie, je ne devrais pas… Mais j’ai une idée pour qu’on soit toutes les deux gagnantes. Approches, je ne veux pas qu’il entende... »
Et l’idiote s’approchait pour que je lui murmure à l’oreille. Le coup de poignard était instantané tout comme le cri qui lui échappait et me brisait les tympans. Je tournais la lame qui s’était planté dans son estomac avant de la retirer puis réitérait mon geste une seconde fois. Mon regard froid restait posé sur elle sans lâcher son regard alors qu’elle s’écroulait au sol, pliée en deux et rempli d’incompréhension. Les ennuis allaient arriver alors que le verrou de la porte résonnait l’instant d’après. Évidemment il avait entendu. La lumière du jour filtrait dans la cave alors que la voix grave et sèche de l’homme se faisait entendre :
« Caedes ! »
Un marmonnement m’échappait. Je montais les marches pour le rejoindre devant l’entrée, fixant le sol.
« Je n’ai pas désobéis… Elle respire toujours. Elle est juste…. Plus calme…. »
Il m’obligeait à relever le regard sur lui en me redressant le menton d’un geste de la main tout en me soufflant froidement :
« Ne joue pas sur les mots. Elle était pour la partie de chasse… Maintenant elle est inutilisable. Je vais offrir quoi à mes invités dis-moi ? »
Je remarquais que maintenant les autres silhouettes derrière lui.
« Pardon Haakon… Elle voulait être libre… Je n’ai pas pu me retenir…»
Dans un murmure à peine audible je rajoutais :
« Et elle salissait toute ma chambre... »
Il levait les yeux au ciel quelques secondes, un sourire mauvais apparaissant malgré lui.
« Ce sera encore pire maintenant. Tu n’as même pas tenu dix minutes, il faut que tu apprennes à mieux te maîtriser. Tu seras punie comme il se doit quand je reviendrai… On va aller se trouver autre chose maintenant que je n’ai plus de surprise, ne sors pas tant que je ne suis pas rentré… et termine-la maintenant que tu as commencé. »
Mon regard se tournait quelques instants sur le fouet qu’il portait toujours à sa ceinture mais je ne cherchais pas à discuter. J’acquiesçais d’un signe de tête avant de redescendre dans ma chambre. Il ne verrouillait pas la porte cette fois derrière moi. Il n’en avait plus aucune raison. Celle qui aurait pu s’enfuir n’était plus en état de le faire et il savait que je ne tenterais rien. Pourquoi aurais-je envie de quitter le seul endroit où j’étais en sécurité et protégée ? L’extérieur était dangereux, je ne devais pas sortir sans lui. La maison était isolée dans la forêt à l’abri des regards, mais pas si loin d’une grande ville qu’il m’avait promit de m’emmener voir un jour quand je serais prête… Los Angeles.
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2023
« Tu n’es pas prête encore, attends-moi ici. Je reviendrai vite. »
Pourtant il ne revenait pas… Et la faim commençait à me tirailler de plus en plus. J’avais besoin de sang et ce désir ne faisait que se multiplier de plus en plus au fil des heures. Ce n’était pas dans ses habitudes de me laisser seule pendant aussi longtemps, ce n’était même jamais arrivé. Cela faisait déjà une semaine que je l’attendais…Ma réserve de nourriture normal était épuisé depuis trois jours déjà. Quant à ma réserve de sang, je venais de la finir. J’avais gardé cette chieuse en vie aussi longtemps que possible pour pouvoir me nourrir mais elle venait de rendre l’âme et retourner dans le monde auquel elle appartenait vraiment.
Un soupir passait mes lèvres alors que j’observais l’horizon par la fenêtre du salon, espérant voir sa silhouette apparaître. Une attente interminable qui finissait par me ramener à la réalité… Il ne reviendrait pas. Je ne pouvais pas attendre plus longtemps, l’envie de sang se faisait beaucoup trop violente. J’étais seule maintenant et j’allais devoir lui prouver qu’il avait tord et que j’étais prête… Je n’avais pas le choix de toute manière, je ne pouvais rester ici et mourir de faim en l'attendant. J’ouvrais un placard pour sortir la petite boîte métallique qu’il m’avait montré, à n’utiliser qu’en cas d’extrême urgence. Une grosse liasse de billets était là avec des papiers d’identité : Lheina Ykaros. C’était apparemment ainsi que je m’appelais, du moins sur ce bout de papier. J’allais devoir m’y tenir et m’y habituer... Franchir le pas de la porte d’entrée sans être accompagné était étrange. J’hésitais à faire demi-tour et retourner à l’intérieur… Mais je finissais par avancer vers l’inconnu, pousser par la curiosité autant que la soif de sang.
L’objectif est simple en théorie : rejoindre la grande ville et me faire discrète, tout en libérant de ce monde un maximum d’humains possible. Mais en pratique, c’est bien plus difficile qu’il n’y paraît quand on grandit isolé de tout avec pour seul modèle un démon. Quelques semaines seulement dans cette nouvelle vie qui ne ressemblait en rien à tout ce que j’avais pu connaître jusqu’à présent et je me sentais perdue. Il n’était plus là pour me dire quoi faire, comment me comporter, ou même pour me corriger si je faisais des erreurs. Je ne comprends pas encore tout ce qui m’entoure, la seule chose que je vois c’est tout ces humains qui pullulent de partout bruyamment et toujours en nombre. L’agitation ne se calme pas non plus la nuit mais c’est un moment propice pour chasser alors qu’ils font tous la fête et boivent à outrance ces alcools qui les rendent si vulnérable que ça gâche presque le plaisir de la chasse.