Je n'avais pas eu le temps de racheter du café, alors après avoir laissé les enfants avec mon amie résistante qui les gardaient pour la journée, j'avais décidé de passer au starbucks. J'avais un grand besoin de café compte tenu des rêves atroces que je faisais dernièrement. Tous impliquaient soit les enfants, soit Matthew. J'avais quelques heures avant mon premier rendez-vous, mais je voulais revoir le dossier. Le café était donc l'endroit parfait pour concilier les deux.

Les même cauchemars revenaient en boucle, parfois qu'avec les enfants, des fois qu'avec Matthew, et le plus souvent... tous les trois. Toutes ces images étaient dure à oublier à force de les voir presque à chaque fois que je fermait les yeux. J'étais d'ailleurs tentée de commencer à enquêter la dessus. Car cette récurrence commençait à m'inquiéter.

J'étais préoccupée par ces pensées et n'avait toujours pas regardé mon dossier ou commencé mon café. Moi qui voulait faire d'une pierre deux coups en venant ici... il faudrait que j'y mette un peu plus du mien ! Je me forçait à chasser ces idées pour le moment et prenait mon café en main, en buvant une gorgée. Puis, je me plongeait enfin dans la lecture du dossier, concentrée. Tant et si bien que je n'avais pas immédiatement senti la présence à mes cotés.

« Quest-ce que... » Fis-je avec stupeur en relevant les yeux des papiers.

Salut ? Ma surprise était complétée par beaucoup trop d'autres sentiments et il me disait "salut" et enchainait avec des paroles comme si... Comme si de rien n'était.

« Nous ? » Avais-je répété, amer. Je détestait entendre la voix de Matthew tout en sachant que ça n'était pas lui. Mais qu'il dise "nous", c'était bien pire.

« Et ta solution à un refus connu d'avance, c'est de forcer les choses... Je ne devrais pas être surprise. » Soufflais-je, ayant toujours en tête qu'il s'agissait d'une âme infernale. Elle n'avait probablement pas terminé en Enfer pour rien. S’asseoir à ma table était digne d'un enfant de chœur comparé au reste.

J'étais en colère, je n'étais pas en train de chercher à gagner du temps, contrairement à la dernière fois. Car aujourd'hui, nous étions en plein jour, dans un lieu publique entouré de rues passantes. Remplies de témoins, qu'ils soient a pied, en voiture... Il savait pourquoi il était venu me parler. Il savait qu'il ne risquait rien et il venait quoi ? Me narguer ?

Il enchainait avec ses paroles, toutes plus difficiles à encaissées que les autres. Des connaissances... Il agissait comme si nous étions en bons termes. Comme s'il n'avait pas pris le contrôle de l'homme que j'aimais, comme s'il ne gardait pas un père, loin de ses enfants.

« Tu ne veux pas causer de scène, mais tu veux jouer avec moi. Sinon, pourquoi venir me parler ? Ici, quand tu sais que... » Il avait raison, cela dit. Je ne pouvais pas faire de scène, ça n'était pas une bonne idée du tout. Attirer l'attention sur nous ne pouvait pas aider. D'une façon ou d'une autre, je devrais faire avec ce qu'il dirait. Je devrait prendre sur moi, ou trouver une façon de partir qui soit discrète. Mais de la manière dont je m'étais installée à la table, ma boisson a peine commencée...

« Tu prends soin de lui... C'est vraiment ce que tu crois ? Investir son corps et le priver de ceux qu'il aime, le priver de sa vie, de tout... ça n'est pas prendre soin de lui. » Autant pour faire avec ce qu'il disait... Je n'avait pas pu m'empêcher de répondre, mais je l'avais dit calmement et personne d'autre que lui n'avait pu entendre, vu le volume de ma voix. C'était peut-être le mieux que je pouvais faire, compte tenu de sa visite surprise et de tout le reste.

« Tu es navré ? C'est une... Oublie, ça n'est pas important. Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi tu es là ? Est-ce que tu veux simplement retourner le couteau dans la plaie ? » Est-ce qu'il pensait qu'un semblant d'aide avec des chiens de l'Enfer quelques mois plus tôt, suffirait à me laisser croire qu'il s'intéressait à comment j'allais ? Qu'il était sincèrement désolé ? Désolé de quoi, d'ailleurs ? Parce qu'il était l'une des raisons principales de mon état. Pas la seule, clairement. Mais il en faisait largement partie. Alors le mot "sincèrement" sonnait d'autant plus faux, dans ces conditions.

Après le cadeau d'anniversaire des enfants en Mai de l'an passé, la nuit des chiens de l'Enfer... Je commençais à me dire qu'il faisait tout pour me voir, plutôt que de chercher à m'éviter. Pourtant, au départ il était resté loin de L.A. et loin de nos radars ! Je ne comprenais pas ce qu'il faisait ici, du coup. Que ce soit à L.A. ou là, à ma table. Il m'avait trouvée facilement il semblait et c'était pas la première fois qu'on tombais l'un sur l'autre ce qui m'avais soudainement alertée ! J'avais l'impression d'être devenue parano et de souvent avoir l'impression d'être épiée dernièrement. Mais peut-être que... Après tout, quelles étaient les chances pour qu'on tombe l'un sur l'autre comme ça par hasard ? Et il ne prétendait pas que ça en était un, de hasard. Sans compter que la dernière fois, avec les khawarijs, quand ils avaient attaqués, il était sortit de nul part ! Comme s'il nous épiaient dans l'ombre. Toutes ces pensées parcouraient mon esprit alors qu'il répondait à ma pique quant au fait qu'il forçait les choses. Ses options sont limités ? Qu'est-ce que c'était censé vouloir dire ? Il voulait parler des protections sur la maison, le QG... ? Ou... Non une meilleure question c'était POURQUOI il avait besoin d'options ? Pourquoi chercher à me voir, comme ça ? Il avait fait mine de terminer ma phrase, parlant de l'Enfer. Mais ce n'était pas du tout ce que j'allais dire ! Je ne le corrigeais pas, cela dit. Si je n'avais pas terminé ma phrase, c'était pour une bonne raison : je ne m'en sentais pas capable.

« Il ne souffres pas ? Parce que tu crois qu'être prisonnier dans son propre corps lui fait du bien ? Qu'il ne souffres pas physiquement c'est une chose mais ça n'est pas tout... Quant à l'Enfer, c'est pas là qu'il devrait être. C'est ta place, pas la sienne ! Alors ne dit pas ça comme si tu lui faisais une fleur. Parce que tu fais souffrir des gens, quoi que tu essaie de dire... » Il avait un culot énorme de dire des choses pareilles ! Mais est-ce que je devais être surprise ? Du peu que je savais sur l'âme qui possédait mon mari, elle pouvait être dangereuse et meurtrière. Alors oui... un manque d'empathie, c'était pas surprenant.

J'avais enfin posé la question qui brulait mes lèvres, même si je l'avais fait de manière détournée en l'accusant de venir remuer le couteau dans la plaie. Je doutais qu'il réponde réellement, mais tant pis ! Je devais au moins essayer de demander, pour comprendre pourquoi il était venu me voir. Et sa réponse... Il disait ne pas être la pour ma faire souffrir. C'était difficile à croire, mais ce qui était encore plus difficile c'était la suite de ses paroles. Je crois que c’est ce qu’il veut. Alors, je le fais... c’est pour ça que j’ai offert la cabane aux enfants... Il avait déjà réfléchi à tout ça... Alors je l’ai fait. Ça m’obsédait. Il est fort. Très fort. Il a beaucoup de volonté. C’est difficile d’y résister. Cette fois, j'étais restée bouche bée un instant. Est-ce qu'il disait la vérité ? Dire ça ne le mettait pas à son avantage ou ne lui faisait rien gagner non ? J'avais envie d'y croire, tellement. Mais je ne parvenais pas à le croire aussi facilement. Pourtant, j'espérais qu'il dise vrai et que les souvenirs de Matt... A cette pensée, j'avais senti mes yeux s'humidifier rapidement et une larme perler et couler sur ma joue droite. Je n'avais rien dit, non seulement parce que je n'étais, pour le moment, pas en état de dire quoi que ce soit sans craindre de craquer complètement. Mais également parce que je l'avais vu reprendre la parole et avoir plus d'informations m'aiderait peut-être à comprendre ou à me décider sur la véracité de ses propos. Cela dit, soit c'était à cause de mon état, soit il parlait en code ou pensait à voix haute en me cachant une partie de sa réflexion. Parce que... je ne comprenais plus rien à ce qu'il disait. Enfin... jusqu'à ce qu'il parle de l'Enfer et ose dire quelque chose qui m'avait fait un électrochoc.

« Il ferait la même chose ? Comment ose-tu... Matthew à dédié sa vie à aider les autres, à sauver des vies ! Je suis intimement convaincue qu'il ne finira pas en Enfer, pour commencer. Mais je sais aussi qu'il n'est pas du genre à faire du mal à quelqu'un d'autre. C'est tout le contraire de qui il est... Que tu sois là, à sa place, c'est déjà suffisant en soit, pour que tu ne craches pas sur lui pour justifier tes actes. Je t'interdit de parler comme ça de mon mari, tu m'entends ? Tu ne peux pas parler avec lui, tu ne peux pas ressentir ce qu'il... Tout ce que tu as ce sont des souvenirs. Ne prétend pas le connaître. Tu n'as pas idée de l'homme qu'il est. » Je tremblais de colère, elle avait surpassé la tristesse et au minima, j'avais pu sécher ma larme avant que ça n'empire. Je détestait ce qu'il avait dit sur Matt. Il était un homme extraordinaire, un excellent médecin qui voulait vraiment aider ses patients, un père exemplaire, un mari attentif... Et ce monstre osait se comparer à lui pour justifier qu'il lui vole sa vie ?

« Tu veux un moyen de s'entendre ? Rends-moi mon mari ! Rends leur père à nos enfants ! C'est la seule façon que tu as de gagner un peu de sympathie, me concernant. Parce que tu peux pleurer sur ce que tu as vécu en Enfer tant que tu veux... je ne vais pas verser une larme pour toi ! Pas après tout ce que... Tu sais ce que tu fais vivre à nos enfants ? Combien de fois ils me demandent quand leur père va rentrer ? Ou est-ce qu'il est ? Pourquoi il n'a pas pu revenir pour leur dernier anniversaire ? S'il sera là pour leur dix ans ? » J'avais été forcée de leur mentir. De dire que leur père faisait tout ce qu'il pouvait pour revenir, mais qu'il avait des obligations. Mais leurs dix ans était dans deux mois seulement et j'étais presque sûre que je ne pourrais pas leur faire ce cadeau...

« Alors si c'est mon aide que tu veux pour te venger... ou je ne sais quoi... tu manques pas d'air ! Et tu as ma condition. Rien ne changeras sans mon mari... C'est la seule chose qui ferait qu'on s'entende un minimum, toi et moi. »